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j’étais beaucoup plus tenté d’attribuer à ma plume qu’à mon esprit, ayant fini par me persuader que je n’arriverais jamais à bien dire en italien, tant que je me bornerais à me traduire moi-même en français, me déterminèrent enfin à aller en Toscane pour y apprendre à parler, à entendre, à penser, à rêver en toscan, et jamais autrement. Je partis donc au mois d’avril 1776, avec l’intention de rester six mois en Toscane, me flattant de l’illusion qu’il n’en fallait pas davantage pour me défranciser. Mais six mois ne sauraient détruire une triste habitude de plus de dix années. Ayant pris la route de Plaisance et de Parme, je m’en allais lentement, tantôt en voiture, tantôt à cheval, en compagnie de mes petits poètes de poche, ayant d’ailleurs fort peu de bagage, trois chevaux seulement, deux domestiques, ma guitare et toutes les espérances de ma gloire future. Grâces à Paciaudi, je vis à Parme, à Modène, à Bologne et en Toscane presque tous les hommes de quelque renom dans les lettres, et moins dans mes premiers voyages j’avais recherché cette sorte de gens, plus dans celui-ci j’apportais d’empressement et de curiosité à connaître les premiers en tout genre, et ceux ensuite qui occupaient le second rang. Ce fut alors que je fis connaissance à Parme avec notre célèbre Bodoni, et son imprimerie fut la première où je mis le pied ; j’avais pourtant été à Madrid et à Birmingham, deux villes qui possèdent les plus remarquables typographies de l’Europe, après celle de Bodoni. Je n’avais donc jamais vu encore un a en métal, ni aucun de ces