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le pouvoir appliquer au dialogue tragique. Les amis qui me dirigeaient me firent ensuite prendre l’Ossian de Cesarotti. Pour le coup, ses vers blancs me plurent, me saisirent, se gravèrent dans mon esprit. Il me parut enfin que, sauf une légère modification, c’était là pour le vers dialogué un excellent modèle. Je voulus lire aussi quelques tragédies des nôtres ou de celles qui ont été traduites du français, dans l’espérance d’y former au moins mon style ; mais cela me tombait des mains : tant les vers et le tour en étaient languissans, vulgaires, prolixes, sans parler, en outre, de la faiblesse des pensées. Entre les moins mauvaises, je lus et j’annotai les quatre que Paradisi a traduites du français, et la Merope originale de Maffei. Celle-ci, en quelques endroits me plut assez par le style, quoiqu’elle laissât encore beaucoup à désirer, pour atteindre à cette perfection idéale ou réelle dont mon imagination s’était formé le type. Souvent je m’interrogeais moi-même : « D’où vient que notre divine langue, si mâle, si ferme et si fière dans la bouche de Dante, perdrait sa force et sa virilité dans le dialogue tragique ? Pourquoi le vers de Cesarotti, qui vibre avec tant d’éclat dans l’Ossian, se change-t-il en une froide psalmodie, lorsqu’il traduit la Sémiramis et le Mahomet de Voltaire ? Pourquoi le superbe et pompeux Frugoni, ce maître en fait de vers libres, dans sa traduction du Rhadamiste de Crébillon, est-il si prodigieusement au-dessous de Crébillon et de lui-même ? Certes je m’en prendrai à tout autre chose qu’à