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deux hommes, que ma destinée littéraire a tout entière dépendu d’eux. Le moindre signe de l’un d’eux m’eût fait jeter au feu toute composition qu’ils auraient blâmée, comme je fis de tant de vers qui ne méritaient pas une autre correction. Si j’ai fini par devenir poète, je dois ajouter : poète par la grâce de Dieu, de Paciaudi et de Tana. Ils furent mes patrons vénérés dans la cruelle bataille qu’il me fallut livrer pendant toute cette première année de ma vie littéraire, uniquement occupée à écarter toute forme, toute période française, à dépouiller, pour ainsi dire, mes propres idées, pour leur donner ensuite un autre vêtement, un autre air ; en un mot, à concentrer sur le même point l’étude réfléchie d’un homme déjà mûr et les efforts d’un enfant à ses premières lettres. Inexprimable labeur, le plus ingrat qui fut au monde, et fait pour rebuter, j’oserai le dire, quiconque se fût senti une ardeur moindre que la mienne.

Ayant donc, comme je l’ai dit, achevé de traduire en mauvaise prose ces deux tragédies, je m’attachai à lire et à étudier vers par vers, et dans, l’ordre chronologique, tous nos premiers poètes, écrivant sur les marges, non des mots, mais de petits traits perpendiculaires, pour m’indiquer à moi-même les pensées, les expressions, les sons qui m’avaient fait plus ou moins de plaisir. Mais tout d’abord, trouvant le Dante encore trop difficile, je pris le Tasse que je n’avais pas même ouvert jusque là. Je le lisais avec une si minutieuse attention, m’obstinant à y découvrir mille choses diverses,