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triste pour long-temps, et ensuite beaucoup plus sérieux. Mes visites à ma chère sœur étaient devenues de plus en plus rares, parce que, placé sous la direction d’un maître et devant me livrer à l’étude, on ne me le permettait plus que les jours de fête ou de congé, et encore pas toujours. Peu à peu je trouvai une sorte de consolation à ma solitude dans l’habitude d’aller chaque jour à l’église des Carmes qui était contiguë à notre maison, d’y entendre souvent de la musique, et d’y voir les moines officier et remplir toutes les cérémonies de la messe chantée, les processions et tout ce qui s’y rattache. Au bout de quelques mois, je ne pensais déjà plus tant à ma sœur ; au bout de quelques autres, je n’y pensais presque plus, et je n’éprouvais d’autre désir que d’être conduit, le matin et dans la journée, à l’église des Carmes ; et en voici la raison. Depuis ma sœur, qui avait environ neuf ans lorsqu’elle sortit de la maison, je n’avais vu habituellement d’autres visages de jeunes filles ou de jeunes garçons que ceux de quelques petits novices des Carmes qui pouvaient avoir entre quatorze et seize ans, et qui, vêtus de rochets blancs, assistaient aux diverses cérémonies de l’église. Ces jeunes et fraîches figures, si semblables à des visages de femmes, avaient laissé dans mon cœur tendre et inexpérimenté la même trace et le même désir de les voir qu’y avait jadis imprimé le visage de ma sœur. Sous tant d’aspects si divers, c’était encore de l’amour, comme il me fut aisé, plusieurs années après, de m’en convaincre pleinement, et