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vais une telle hâte de jeter là ce fardeau, qu’insensiblement je trouvai le courage d’affronter et de surmonter ces obstacles non moins sérieux que repoussans.

J’ai dit que la représentation de Cléopâtre m’avait ouvert les yeux. Elle ne m’avait pas seulement éclairé sur l’absurdité d’un sujet malheureux par lui-même, et qui ne pouvait venir en pensée qu’à un auteur inexpérimenté, et encore pour son coup d’essai, elle m’avait encore rendu le service de me faire mesurer dans toute son immensité l’espace que j’aurais à parcourir en arrière, avant de pouvoir, pour ainsi parler, me remettre en selle, rentrer en lice, et me lancer vers le but avec plus ou moins de bonheur. Le voile qui jusque là avait si fort obscurci ma vue étant donc tombé de mes yeux, je pris avec moi-même un solennel engagement, je jurai de n’épargner ni encre, ni fatigue, pour me mettre en état de parler ma langue aussi bien que qui que ce fût en Italie ; et je fis ce serment, persuadé que si une fois je parvenais à bien dire, il ne m’en coûterait pas beaucoup ensuite pour concevoir avec force et composer avec sagesse. Ce serment fait, je me précipitai aussitôt dans l’abîme de la grammaire, comme autrefois Curtius dans le gouffre, tout armé et le regardant en face. Autant j’étais convaincu d’avoir toujours fait mal jusque là, autant je m’assurais de pouvoir mieux faire avec le temps. J’en avais dans mon portefeuille une preuve irrécusable à mes yeux. C’étaient mes