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tif qui, au même instant, s’éteignit et disparut sous la cendre, où il dormit encore bien des années. Le très-digne et très-complaisant abbé me lisait l’Ode à la Fortune, cette œuvre grandiose de Guidi, encore un poète que j’entendais nommer pour la première fois. Plusieurs stances de cette ode, surtout l’admirable strophe de Pompée, me causèrent d’inexprimables transports, à ce point que ce bon abbé se persuada que j’étais né pour faire des vers, et me dit qu’avec du travail j’aurais pu en faire d’excellens. Mais une fois passé ce moment de fureur poétique, et voyant quelle rouille dévorait encore mes facultés intellectuelles, je crus la chose désormais impossible, et je n’y pensai plus.

Cependant l’amitié et la douce compagnie de cet homme unique, qui est un Montaigne vivant, ne contribuèrent pas médiocrement à calmer un peu mes esprits. Je ne me sentais pas tout-à-fait guéri, mais je reprenais insensiblement l’habitude de lire et de réfléchir beaucoup plus que je ne l’avais fait depuis dix-huit mois. Pour ce qui est de Lisbonne, je n’y serais pas seulement resté dix jours, si l’abbé ne s’y fût trouvé ; rien ne m’en plut, excepté les femmes en général ; tout en elles vous fait souvenir du lubricus adspici d’Horace. Mais comme la santé de l’âme m’était redevenue mille fois plus chère que celle du corps, je m’efforçai et je réussis à éviter toujours les femmes honnêtes.

Dans les premiers jours de février, je pris la route de Séville et de Cadix, et je n’emportai avec