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route de Londres. Personne n’avait osé se montrer à moi, encore moins me rien dire. Sans doute que me voyant venir d’un air résolu et l’épée sous le bras, n’y ayant d’ailleurs aucun intérêt personnel (les gens de sens rassis n’aiment guère se trouver sur le chemin des amoureux), pensèrent-ils qu’il valait mieux me souhaiter bon voyage et me laisser aller. Il est certain pourtant que si au moment où j’entrai dans ce parc et où j’en sortis par le chemin des voleurs, ils avaient voulu se réunir deux ou trois pour m’arrêter, la chose pour moi tournait mal. Si j’essayais de fuir, on me donnait pour un larron ; si j’attaquais pour me défendre, j’avais l’air d’un assassin, et intérieurement j’étais bien résolu à ne pas tomber vivant dans leurs mains. Il fallait donc commencer par tirer l’épée, et dans un pays de lois sages, et où l’on ne se joue pas des lois, ce sont là de ces choses qui entraînent à coup sûr le plus sévère châtiment. Aujourd’hui encore j’en frémis en l’écrivant ; mais alors je n’eusse point hésité à m’y exposer. Le lundi, pour revenir de Londres, le mari avait eu ce même postillon qui m’avait attendu toute la nuit à deux milles de là ; celui-ci avait raconté le fait comme une chose singulière, et sur ce qu’il dit de ma taille, de mon extérieur, de mes cheveux, l’autre m’avait fort bien reconnu ; puis, en arrivant chez lui, il avait entendu le rapport de ses gens, et finalement il avait acquis la certitude tant cherchée de ses infortunes.

Mais ici, en racontant les bizarres effets d’une jalousie anglaise, la jalousie italienne ne peut s’em-