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à mon bras, ne fit qu’animer encore mon audace. Vers les six heures du soir, je voulus à tout prix me lever, et quoi que voulût me dire Élie, qui était pour moi un demi-précepteur, je me jetai seul dans une petite chaise de poste, et m’en allai à ma destinée. Il m’était impossible de monter à cheval, à cause de la douleur que je ressentais au bras, et de l’embarras des ligatures qui étaient fortement serrées ; je ne pouvais non plus ni ne devais arriver avec cette voiture et le postillon jusqu’à la maison de campagne ; je me déterminai donc à laisser le tout à la distance d’environ deux milles, et je fis le reste de la route à pied, un bras en écharpe ; l’autre sous mon manteau et tenant, comme il est naturel, la garde de mon épée, en homme qui va seul, de nuit, dans une maison étrangère, et qui n’y entre pas en ami. Cependant la secousse de la voiture avait renouvelé et redoublé la douleur que je sentais à l’épaule, et en avait si bien dérangé les ligatures, que depuis, en effet, mon épaule ne s’est jamais bien remise. Je ne laissai pas de me regarder comme le plus heureux des hommes, à mesure que je me rapprochais de l’objet tant désiré. J’arrivai enfin, et à grand’peine je parvins (n’ayant personne qui m’aidât, car nous n’avions pas de confidens) à escalader la palissade du parc pour y entrer ; il m’avait été impossible d’ouvrir la petite porte, qui la première fois avait été laissée entr’ouverte. Le mari, toujours pour cette revue du lendemain, était encore allé coucher à Londres ce soir-là. J’arrivai donc à la maison, où je trouvai