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courir après toutes les occasions de me rompre le cou. Garaccioli, qui était resté sur la route, de l’autre côté de la barrière que j’avais si mal franchie , eut beau me crier de ne pas recommencer et d’aller prendre, pour venir le rejoindre, l’issue ordinaire du pré, moi qui ne savais plus guère ce que je faisais, courant à mon cheval, qui avait l’air de vouloir fuir dans le pré, je saisis la bride à propos, et de plus belle en selle, je le ramenai avec l’éperon du côté de la barrière, où réhabilitant à la fois son honneur et le mien, il la franchit sans hésiter. Ma vanité de jeune homme ne jouit pas long-temps de ce triomphe ; j’avais à peine fait quelques pas, que mon esprit et mon cœur venant à se refroidir en même temps, je commençai à ressentir une atroce douleur dans l’épaule gauche ; elle était démise, et le petit os qui la rattache au cou était cassé. La douleur allait croissant, et ce peu de milles qui me séparaient de la maison me parurent horriblement longs lorsqu’il fallut les faire à cheval et au pas. Le chirurgien arriva, et après m’avoir long-temps tenu à la torture, il dit avoir remis toute chose en sa place, arrangea ses ligatures, et m’ordonna de rester au lit. Il faut comprendre l’amour, pour se faire une idée de ma colère et de ma rage, quand je me vis cloué dans un lit, précisément à la veille de cet heureux jour qui avait été fixé pour ma seconde visite à la campagne. L’accident était arrivé dans la matinée du samedi ; je pris patience ce jour-là et le dimanche jusqu’au soir, et ce peu de repos, en donnant quelque force