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absolument impossible de la voir. Aussi voyais-je arriver ce mois de juin comme le dernier de ma vie. Ni mon cœur, ni mon esprit malade, n’admettaient la possibilité matérielle de survivre à une telle séparation ; ma nouvelle passion, fortifiée par le temps, avait ainsi plus de violence que la première. Cette pensée fatale, que l’heure de son départ marquerait celle de ma mort, m’avait exaspéré à ce point, que, dans ma conduite, je procédais comme un homme qui désormais n’a plus rien à perdre. Je n’y étais pas non plus médiocrement encouragé par le caractère de ma maîtresse, qui n’avait aucun goût pour les moyens termes, et paraissait mal les comprendre. Les choses en étant là, et chaque jour ne faisant qu’ajouter à nos imprudences, le mari, qui déjà depuis long-temps s’en était aperçu, avait plusieurs fois fait entendre qu’il saurait bien se venger de moi ; pour ma part, je ne désirais rien au monde autant que cela. L’éclat de son ressentiment pouvait seul me tirer d’affaire, ou achever de me perdre entièrement. Je vécus environ cinq mois dans cette horrible situation, mais enfin la bombe éclata de la manière suivante. Plusieurs fois déjà, à différentes heures du jour, elle m’avait, au grand péril de tous deux, introduit elle-même dans sa maison. Jamais on ne m’avait aperçu, les maisons, à Londres, étant fort petites et les portes toujours closes. La plupart du temps, les gens se tiennent dans des salles souterraines, ce qui fait que du dedans on peut, sans difficulté, ouvrir la porte de la rue, et introduire un étranger dans quel-