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sir à la lecture de Plutarque, que je recommençai une troisième et une quatrième fois, et puis toujours Montaigne. Ma tête offrait alors un singulier amalgame de philosophie, de politique et de libertinage. Lorsque mes incommodités me permettaient de sortir, un de mes plus grands plaisirs, sous ce ciel du nord, consistait à aller en traîneau : poétique vitesse qui m’agitait violemment, et qui enchantait mon imagination non moins emportée.

À la fin de mars, je partis pour la Suède, et, bien que j’eusse trouvé la Suède entièrement libre de glaces, et la Scanie également affranchie de neiges, je n’eus pas plus tôt dépassé la ville de Norkoping, que je retrouvai sur ma route le plus terrible des hivers, partout les neiges amoncelées et tous les lacs pris ; impossible d’aller plus avant avec les roues : il fallut démonter ma voiture et l’attacher sur deux traîneaux, suivant l’usage du pays, et c’est ainsi que j’arrivai à Stockolm. La nouveauté du spectacle, l’âpre et majestueuse nature de ces forêts immenses, de ces lacs, de ces précipices, me remplissaient d’enthousiasme. Je n’avais pas encore lu Ossian, néanmoins beaucoup des images qui lui sont familières m’apparaissaient, rudement empreintes dans mon imagination, telles qu’ensuite je les retrouvai développées, lorsque, plusieurs années après, j’étudiai dans Ossian la savante structure des vers du célèbre Cesarotti.

Les sites de la Suède, ainsi que leurs habitans de toute classe, étaient fort de mon goût, peut-être parce que j’ai toujours aimé les extrêmes, peut-être