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lures d’un penseur sauvage ; et lorsqu’à ces bigarrures de mon humeur venaient se joindre les passions naturelles à mes vingt ans avec leurs conséquences non moins naturelles, ce mélange faisait de ma personne un tout passablement original et risible.

Au mois de septembre, je poursuivis mon voyage, par Prague, jusqu’à Dresde, où je m’arrêtai un mois, puis à Berlin, où je ne demeurai pas davantage. En entrant dans les états du grand Frédéric, qui me parurent un immense corps-de-garde, je sentis redoubler et tripler l’horreur que j’avais pour cet infâme métier des armes, l’unique et odieuse base de l’autorité arbitraire, laquelle est le résultat nécessaire de tant de milliers de satellites enrôlés. Je fus présenté au roi, mais je n’éprouvai, en le voyant, ni admiration, ni respect ; ce fut plutôt de l’indignation et de la rage : ces mouvemens devenaient, chaque jour, chez moi plus énergiques et plus fréquens à la vue de tant de choses qui ne vont pas comme elles le devraient, et qui, quoique fausses, n’en prennent pas moins le visage et le renom de la vérité. Le comte de Finch, ministre du roi, qui me présentait, me demanda pourquoi, étant au service de mon souverain, je n’avais pas, ce jour-là, endossé l’uniforme ? Je répondis : « Parce qu’il me semble que dans cette cour ce ne sont pas les uniformes qui manquent. » Le roi m’adressa les trois ou quatre paroles d’usage : je l’observai profondément, les yeux respectueusement attachés sur ses yeux, et je remerciai le ciel de ne m’avoir point fait naître son esclave. Je sortis,