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tère et des manières aimables. Moi, au contraire, je passais pour un homme extraordinaire, dans la mauvaises acception du mot ; je ne savais pas me conformer aux opinions, aux mœurs, aux commérages, à l’esclavage de mon pays, et me laissais trop aisément aller à blâmer ses usages et à m’en moquer, ce qu’on ne pardonne guère, et, à dire vrai, on a raison. Je fus donc solennellement refusé, et on me préféra le jeune homme dont j’ai parlé. La jeune personne fit parfaitement pour son bonheur, car elle a vécu la plus heureuse des femmes dans la maison où elle est entrée, et parfaitement aussi pour le mien, car si je tombais dans cet empêchement de femme et d’enfans, assûrement c’en était fait de mon commerce avec les muses. Ce refus me causa tout ensemble du chagrin et de la joie. Pendant que se traitait l’affaire, j’en éprouvais souvent des regrets, et j’en avais, pour moi, une certaine honte que je ne montrais pas, mais qui ne m’en était pas moins sensible. Je rougissais intérieurement de m’abaisser à faire pour des écus une chose toute contraire à ma manière de penser ; mais une petitesse en engendre bientôt une seconde, et elles vont ainsi se multipliant toujours. La raison de cette cupidité peu philosophique assurément, c’était l’idée que j’avais toujours, depuis mon séjour à Naples, de viser un jour ou l’autre aux emplois diplomatiques. Je m’étais vu encourager dans cette pensée par les conseils de mon beau-frère, courtisan invétéré ; et l’espoir de ce riche mariage était précisément la base sur la-