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et cinq fois, avec un tel transport de cris, de larmes, et parfois de colère, que, s’il y avait eu quelqu’un à m’écouter dans la chambre voisine, on n’eût pas manqué de me croire fou. Souvent, à la lecture de quelques beaux traits de ces grands hommes, je me levais tout hors de moi, et des pleurs de rage et de douleur jaillissaient de mes yeux, à la seule idée que j’étais né en Piémont, dans un temps et sous un gouvernement où rien de grand ne pouvait se faire ni se dire, et où, tout au plus, pouvait-on stérilement sentir et penser de grandes choses. Durant ce même hiver, j’étudiai encore avec beaucoup d’ardeur le système planétaire, les mouvemens et les lois des corps célestes, du moins ce que l’on peut en comprendre sans le secours de la géométrie, toujours inaccessible pour moi. C’est-à-dire que j’étudiai assez mal la partie historique de cette science toute mathémathique en elle-même.

Toutefois, dans l’étroite limite de mon ignorance, j’en compris assez pour élever mon intelligence à la hauteur de cette immense création ; et aucune science, à l’égal de celle-ci, n’eût ravi et rempli mon ame, si j’avais été en possession des principes nécessaires pour la suivre plus loin.

Parmi ces douces et nobles occupations qui me charmaient, mais qui ne laissaient pas d’augmenter encore ma taciturnité, ma mélancolie, mon dégoût pour les amusemens vulgaires, mon beau-frère me pressait continuellement de prendre une femme. J’aurais été de ma nature fort enclin à la