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gure dans nos écoles, où on nous le définit sans nous initier à ses œuvres, et sans que ses détracteurs se soient donné seulement la peine de le lire, ou de le comprendre, si même ils l’ont vu. Mon ami d’Acunha m’en donna un exemplaire, que je conserve encore, que j’ai beaucoup lu depuis, où j’ai même écrit quelques notes ; mais ce fut bien des années après. Une chose fort étrange (que je notai beaucoup plus tard, mais que j’éprouvai alors vivement sans toutefois m’en rendre compte), c’est que jamais je ne sentais mon esprit et mon ame s’ouvrir au désir de l’étude, et à certain mouvement, à certaine effervescence d’idées créatrices, que quand j’avais le cœur fortement occupé d’aimer. Cet amour me détournait sans doute de toute application d’esprit, mais en même temps il m’en inspirait un très-vif besoin. Et si jamais je me croyais capable de réussir en quelque branche de littérature, c’était lorsque, ayant un objet cher et bien aimé, je me flattais de pouvoir lui apporter encore en tribut les fruits de mon génie.

Mais mon bonheur, en Hollande, ne fut pas de longue durée. Le mari de ma maîtresse était un personnage très-riche, dont le père avait eu le gouvernement de Batavia. Il changeait très-souvent de résidence, et ayant acheté récemment une baronie en Suisse, il voulut aller y passer l’automne. Au mois d’août, il fit avec sa femme un petit voyage aux eaux de Spa, où je les suivis de près, car le digne homme n’était aucunement jaloux. En revenant de Spa en Hollande, nous fîmes