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ne m’a jamais coûté trop de peine ; j’écoute même les plus sots discours : ils vous apprennent tout ce qu’ils ne disent pas.

Une des raisons qui m’avaient fait le plus désirer de voir la France, c’était que je pourrais y suivre le théâtre. Deux ans auparavant j’avais vu à Turin une troupe de comédiens français, et durant tout un été j’avais été assidu à ses représentations. Aussi beaucoup de leurs meilleures tragédies et presque toutes leurs comédies les plus célèbres m’étaient connues. La vérité veut que je dise qu’à Turin comme en France, dans le premier voyage comme dans le second que j’y fis plus de deux ans après, jamais il ne m’arriva de penser ou seulement de rêver que j’aurais un jour le désir ou le talent d’écrire des compositions dramatiques. J'écoutais donc celles des autres avec attention sans doute, mais sans aucun but, et, qui plus est, sans éprouver la plus petite velléité de produire ; et même, à tout prendre, la comédie me divertissait bien plus que la tragédie ne me touchait, quoique par nature je fusse beaucoup moins enclin au rire qu’aux larmes. Plus tard, en y réfléchissant, il m’a semblé que l’une des principales causes de mon indifférence pour la tragédie tenait à ce que dans presque toutes les tragédies françaises il y a des scènes entières, souvent même des actes, où des personnages secondaires venaient glacer mon esprit et mon cœur, en allongeant l’action sans nécessité, ou, pour mieux dire, en l’interrompant. Ajoutez, s’il vous plaît, que, quoique bien décidé à ne pas être Italien, mon