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honte éternelle, que je ne vis pas même l’arsenal. Je ne m’inquiétai pas de prendre, même en courant, la plus légère idée de ce gouvernement qui en rien ne ressemble à aucun autre, et qui peut du moins passer pour rare, s’il n’est bon, puisqu’il est resté debout pendant des siècles avec tant d’éclat, de prospérité et de paix. Mais moi, toujours dépourvu du sens des beaux-arts, je végétais honteusement, et voilà tout. Je partis enfin de Venise, et, suivant mon usage, avec mille fois plus de plaisir que je n’y étais entré. Arrivé à Padoue, cette ville me déplut souverainement. Je n’y recherchai aucun de ces professeurs illustres que long-temps après il me fut permis de connaître ; mais alors, au seul mot de professeur, d’études et d’université, je me sentais frissonner. Je ne me rappelai point, le savais-je seulement ? qu’à quelques milles de Padoue, reposaient les os de notre second maître, cette grande lumière, Pétrarque. Et qu’avais-je à faire de Pétrarque, moi qui jamais ne l’avais lu, ni entendu, ni senti, mais qui l’ayant à peine entr’ouvert une fois ou deux, et n’y comprenant rien, l’avais aussitôt laissé là ? Ainsi perpétuellement éperonné, talonné par l’oisiveté et par l’ennui je brûlai Vicence, Vérone, Mantoue et Milan, pour tomber plus vite à Gènes, cette ville que j’avais vue à la dérobée, quelques années auparavant, et qui m’avait laissé un certain désir de la revoir. J’avais des lettres de recommandation pour presque toutes les villes que je viens de nommer ; mais la plupart du temps je n’en faisais point usage, ou, quand j’en usais, il