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pas laissé néanmoins de purger ma prononciation de notre horrible U lombard, ou français, qui m’avait toujours grandement déplu pour sa maigre articulation, et pour cette petite moue que font les lèvres en le prononçant, ce qui les fait terriblement ressembler alors à la ridicule grimace des singes lorsqu’ils veulent parler. Et maintenant encore, quoique depuis cinq ou six ans que je suis en France j’aie les oreilles assez remplies et rebattues de cet U, il ne manque jamais de me faire rire chaque fois que j’y prends garde, surtout lorsqu’au théâtre où l’on déclame, et même dans les salons où l’on ne déclame guère moins, ces petites lèvres contractées qui ont toujours l’air de souffler un potage bouillant, laissent entre autres échapper le mot nature.

Perdant ainsi mon temps à Florence à voir peu de chose, à ne rien apprendre, et bientôt à m’y ennuyer, je donnai encore une fois de l’éperon à notre vieux Mentor, et le 1er décembre nous prîmes le chemin de Lucques, en passant par Prato et par Pistoia. Un jour à Lucques me parut un siècle ; aussitôt nous voilà sur la route de Pise. Un jour à Pise, quoique le Campo-Santo m’eût fort touché, ne laissa pas de me paraître long, et de Pise vite à Livourne. Cette ville me plut beaucoup, et parce qu’elle ressemblait un peu à Turin, et parce que la mer était là, la mer, dont je ne pouvais jamais me rassasier. Notre séjour à Livourne fut de huit ou dix jours, et toujours j’allais comme un barbare, balbutiant mon anglais, et l’oreille fermée au Toscan. Lors-