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Nous primes l’hôtel de M. de Diesbach-Belleroche[1], rue des Saussaies, faubourg Saint-Honoré ; il était fort joli, nous l’avions loué pour mon père et ma mère, qui devaient venir assister à mes couches. Nous y menions une vie très retirée ; je ne recevais personne, M. de Lescure était toute la journée aux Tuileries et dans tous les endroits où il y avait du bruit ; j’allais me promener avec lui aux Champs-Élysées, c’était mon seul amusement. Je n’avais rien à désirer quand j’étais avec lui, et c’est ce qui changea mes goûts et mon caractère ; j’aimais auparavant tous les plaisirs avec vivacité, mais depuis mon mariage, je n’aimais que lui.

[L’été de 1792, quoique lancés au milieu des événements qui menaçaient le Roi, nous n’avions pas l’idée des risques que nous courions, moi surtout ; c’est-à-dire, je ne sentais que ceux de M. de Lescure, si on se battait ; mais excepté cela, je n’avais pas la pensée des dangers. Comment l’aurais-je eue, étant encore si jeune et, depuis le 6 octobre, n’ayant rien vu de la révolution ? D’ailleurs, tout le monde de ma société n’y songeait pas davantage : personne ne doutait de la contre-révolution, comme prochaine et facile, et on n’imaginait pas qu’on pût être poursuivi, emprisonné, massacré ; les moments de crise passés, on causait des événements en riant. J’ai souvent réfléchi, depuis, à cette étonnante confiance ; quelques esprits justes, comme Mme de Lamballe et maman, étaient frappés de la révolution, mais les autres étaient vraiment aveuglés.]

J’eus grand’peur le jour du désarmement des gardes du Roi : j’ignorais qu’il y eût eu du bruit ; j’étais seule en voiture et en grand deuil de l’Impératrice[2], ce qui excitait la fureur du

  1. Cet hôtel appartenait à Philippe-Nicolas-Ladislas, comte de Diesbach, seigneur de Belleroche, né en 1747. Il avait épousé en 1770 Marie-Claire de Baudequin de Sainghen, en Artois. En 1789, il succéda à son père dans le commandement du régiment de Diesbach ; rentré en Suisse, il fit partie du conseil souverain. Nommé lieutenant général en 1816, il mourut à Saint-Germain en Laye le 10 mars 1822.
  2. Marie-Louise, infante d’Espagne, née le 24 novembre 1745, fille de Charles III,