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la terrasse ; nous y restons huit mois, absolument seuls, les mauvais chemins et les menaces des paysans empêchant toute réunion ; à l’exception de deux ou trois voisins, qui même viennent très rarement, nous ne voyons personne, et, ne pouvant me promener, je m’ennuie excessivement.

Deux mois après notre arrivée chez mon oncle, les matelots des environs détruisent ses pêcheries ; cependant, cette année-là, il n’a pas à se plaindre des paysans des paroisses dont il était seigneur ; ils viennent danser tous les dimanches, et mon oncle les traite avec la bonté rare qui fait le fond de son caractère ; mon seul amusement est de danser avec eux.

Nous partons dans le mois de juillet pour aller habiter Citran en Médoc, appartenant à mon père. Nous passons un an, sans rien de remarquable ; mon oncle, ses fils et quelques personnes y étaient presque toujours. Nous y vivions tranquilles, quoique le pays fût assez mauvais, mais nous y faisions beaucoup de bien, et toute la paroisse travaillait pour nous ; ainsi les paysans se trouvaient toujours dépendre de mon père, comme ouvriers. D’ailleurs, nous étions fort paisibles ; on nous laissait en repos, à l’exception de quelques propos et de quelques petits désagréments.

Depuis le commencement de la révolution, mon mariage était arrangé avec le comte de Talaru[1], qui devait avoir cent mille livres de rentes, neveu et héritier du maître d’hôtel de la Reine ; je ne le connaissais pas ; notre union avait été retardée à cause des troubles dont on espérait la fin ; il fut décidé qu’on n’attendrait pas plus longtemps.

Mon mariage allait se faire, mais maman se rappelait l’inclination mutuelle que M. de Lescure et moi avions eue l’un pour

  1. Louis-Justin-Marie, né le 2 septembre 1769, comte, puis marquis de Talaru, émigra. Il fut nommé pair en 1815, ambassadeur en Espagne en 1823, chevalier de la Toison d’or, chevalier des ordres, ministre d’état. Il mourut à Paris le 22 mai 1850.