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qu’il n’y avait âme qui vive dans la rue des Réservoirs, nous sortons du château ; maman et moi tremblions comme la feuille ; nous nous réfugions dans un petit logement que M. le comte de Crenay[1] avait dans la ville, extrêmement près du château ; nous y restons avec plusieurs personnes venues pour y chercher asile, entre autres des officiers des gardes du corps.

Tout d’un coup nous entendons une fusillade et une canonnade générales et sans ordre, qui partent des cours et durent plus d’une demi-heure ; nous croyions qu’on massacrait tout au château, et nous étions dans le plus cruel état, quand on vint nous dire que c’était une réjouissance, parce que le Roi avait paru sur le grand balcon avec la cocarde et avait consenti à aller demeurer à Paris. Il lui fallait bien obéir : quel consentement ! quelle réjouissance ! Nous retournons au château et de là chez Mesdames. Je leur fais moi-même des cocardes de rubans, nous en prenons toutes ; il y avait dans les antichambres plusieurs de leurs gens, qui étaient de la garde nationale de Versailles et avaient endossé l’uniforme.

Nous montons en voiture avec Mesdames, Mme de Narbonne[2], Mme de Chastellux, maman et moi ; nous suivions celle du Roi, mais nous en étions à une grande distance ; une foule immense et le grand nombre des voitures nous séparaient, quoique Mesdames fussent parties en même temps.

Je n’oublierai pas que la Reine, en montant en carrosse et entourée d’une troupe immense de ses assassins, reconnut dans la

  1. Sébastien-Anne-Julien de Poilvilain, comte de Crenay et de Montaigu, né le 15 septembre 1743, sous-lieutenant aux gendarmes de la garde du Roi, chevalier de Saint-Louis, maréchal de camp, retraité en 1782, maître de la garde-robe de Monsieur, comte de Provence.
  2. Françoise de Chalus-Sensac, mariée, par contrat du 13 juillet 1749, à Jean-François, comte de Narbonne-Lara, créé duc en 1780, grand d’Espagne, premier gentilhomme de l’infant, duc de Parme, maréchal de camp, commandant dans le haut Languedoc. Elle avait été dame du palais de l’infante, duchesse de Parme, et était dame d’honneur de Madame Adélaïde ; elle mourut en 1821.