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régiment de Flandre, dont il était major en second et qu’il commandait (M. de Lusignan[1], colonel, étant député et patriote) ; le régiment n’avait que cinquante cartouches par compagnie (il était arrivé depuis une semaine) ; la garde nationale s’était emparée de ses canons ; malgré ses représentations, le major n’avait pu ni obtenir de la poudre, ni ravoir ses cantons ; les soldats étaient encore fidèles, mais ils commençaient à murmurer, et avec raison ; enfin, chose incroyable, après l’arrivée de M. de la Fayette et de la foule immense des Parisiens, M. de Montmorin venait de recevoir l’ordre des ministres d’enfermer le régiment dans les Petites-Écuries, et d’apporter la clef de la grille ; n’ayant pu trouver la clef, parce qu’on ne la fermait jamais, on lui avait donné l’ordre de mettre un cadenas à la porte. Il s’écriait que le Roi était trahi et il pleurait de rage.

Tous les habitants du château allèrent se coucher ; beaucoup de gentilshommes voulaient passer la nuit dans les galeries, mais le duc d’Ayen les renvoya, ferma les portes, disant qu’il était du dernier ridicule de s’inquiéter. Je ne veux pas oublier une légère circonstance, qui prouve combien on était aveugle et loin de prévoir ce qui devait arriver par la suite. En revenant de chez Mesdames, nous rencontrâmes le duc de Saulx-Tavannes[2], ami de notre famille ; il n’était certainement pas du nombre des traîtres, et il avait autant d’esprit que tout le monde. Il dit à maman : « Eh ! bien ! chacun va se coucher, on dit que tout est fini — Comment, fini ? — Je n’y conçois guère rien ; il paraît que M. de la Fayette ne voulait que faire sanctionner des décrets

  1. Hugues-Thibault-Henri-Jacques, marquis de Lezay-Lusignem, né à Paris le 22 décembre 1749 ; mestre de camp commandant du régiment de Flandre en 1784, chevalier de Saint-Louis, député de Paris aux états généraux, maréchal de camp en 1790, mort en 1815.
  2. Charles-Francois-Casimir, comte de Saulx-Tavannes, né le 11 août 1739, maréchal de camp en 1780, chevalier des ordres, créé duc en 1786, chevalier d’honneur de la Reine, pair en 1814, lieutenant général, mort à Paris le 15 juin 1820.