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Dans le moment où nous entendions les coups de fusil, le tocsin et la générale que le peuple faisait battre, M. de Calvimont, jeune homme de nos parents, entra chez maman et tomba évanoui sans pouvoir proférer un mot. Il était venu à pied de Paris, et avait fait plus de dix lieues pour éviter d’être emmené par le peuple, car on arrêtait tout le monde sur la route et dans les rues ; on forçait hommes et femmes à marcher contre Versailles. M. de Calvimont n’avait pas dîné, il avait toujours couru, entendant les tambours parisiens tout le long du chemin ; arrivant au moment des coups de fusil tirés par les troupes de Versailles sur les gardes du corps, il crut que le combat était commencé. Les portes du château étaient toutes fermées, mais comme il avait été page, il trouva le moyen de pénétrer avec deux de ses amis. Nous fûmes fort effrayées de le voir entrer et s’évanouir ; maman et moi étions seules, mon père était dans la galerie avec les autres gentilshommes pour défendre le Roi. Nous fîmes revenir M. de Calvimont, et sitôt qu’il eut mangé, il se rendit à l’Œil-de-Bœuf. Nous avons su depuis qu’il était d’une association de quatre cents jeunes gens qui avaient proposé plusieurs fois d’enlever le duc d’Orléans ; les ministres ne l’avaient jamais voulu, et il venait non seulement comme les autres pour défendre le Roi, mais aussi pour renouveler ce projet, et il espérait, à l’aide de ceux de ses camarades qu’il pourrait rassembler, prendre le duc d’Orléans.

Il se rendit donc à la galerie et annonça positivement l’arrivée prochaine de M. de la Fayette et de toute la garde nationale de Paris. Grande rumeur. M. le duc d’Ayen[1], capitaine des gardes du corps, était à un coin de l’Œil-de-Bœuf, à se moquer

  1. Jean-Louis-Paul-François de Noailles, né le 26 octobre 1739, duc d’Ayen, puis duc de Noailles et pair de France ; lieutenant général en 1784, capitaine des gardes, chevalier de la Toison d’or, membre de l’Académie des sciences, mort à Fontenay-Trésigny, Seine-et-Marne, le 26 octobre 1824.