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redoublées ; la musique jouait : Ô Richard, ô mon roi ! On décida le Roi à aller sur le théâtre pour faire le tour de la table ; la Reine le suivit et parla à chacun avec sa grâce enchanteresse, qui savait si bien captiver les cœurs ; elle confia successivement le Dauphin à différents gardes du corps. Après une demi-heure au plus, elle se retira avec le Roi. L’ivresse, l’enthousiasme étaient au comble, tout le monde versait des larmes de joie et d’attendrissement ; tous les officiers qui étaient à table sautèrent dans l’orchestre et de là sur l’amphithéâtre, pour gagner plus vite la galerie de l’Opéra et s’y trouver avant le Roi, qui avait fait le tour par les corridors, il semblait que tout ce monde montait à l’assaut ; on poussait des cris confus de : Vive le Roi, vive la Reine, nous les défendrons, nous mourrons pour eux ; qu’on vienne les arracher de nos bras ! Je n’entendis aucune provocation contre l’Assemblée nationale ni le tiers état. Tous les militaires qui avaient suivi le Roi, après s’être retrouvés sur son passage, se mirent à courir sur la terrasse, dans les cours, sous les fenêtres de chaque membre de la famille royale ; ils allèrent de là sous le balcon du Roi, qui y parut. Quoique ce balcon, qui est celui de la cour de marbre, en face de la grille, fût à une très grande élévation, plusieurs militaires s’élancèrent dessus, l’épée à la main, en criant : Vive le Roi ! C’est une chose incroyable, mais cependant très vraie. Le Roi, la Reine étaient en larmes, rien ne fut plus touchant que cette scène.

Il y eut le lendemain un déjeuner des gardes du corps seuls, à leur quartier ; on prétend qu’il fut encore plus vif que le dîner, mais il n’y eut pas de témoins et tout se passa entre eux.

Je me rappellerai toujours que M. le comte de Narbonne-Fritzlar[1] (ainsi surnommé par Louis XV, à la suite de sa belle défense de cette ville), vieux militaire célèbre et non employé,

  1. Jean-François de Narbonne-Pelet, né le 31 décembre 1726 à Saint-Paul-Trois-Châteaux, en bas Dauphiné ; lieutenant général, grand-croix de Saint-Louis, il mourut à Paris, le 28 janvier 1804.