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Victoire ; mon père, ma mère, mon oncle de Lorge, M. de Lescure et moi nous étions avec mon grand-père. Il était attaqué de la pierre ; son état et la mort de sa femme avaient rendu notre maison le séjour du deuil et de la tristesse. Le silence le plus absolu, interrompu seulement par des larmes, régnait dans notre solitude, où rarement on permettait à deux ou trois amis de venir passer une heure. Dans ce temps, M. de Montmorin fut nommé ministre des Affaires étrangères ; mon mariage fut retardé d’un an, à cause des chagrins de ma famille.

Je passai cinq mois à Brimborion, n’ayant pour tout plaisir que celui de jouer aux échecs avec M. de Lescure. Mon grand-père mourut, et maman fut trois semaines dans un état si affreux, qu’elle ne revenait de ses longs évanouissements que pour avoir des convulsions ; aucun remède ne pouvait la soulager ; c’était son âme qui était malade.

On conseilla à mon père de la faire voyager. Nous partîmes pour la Suisse ; elle y avait pour amis Mme de Diesbach et la famille d’Affry[1]. Nous étions dans la première voiture, mon père, ma mère, ma gouvernante, un aumônier et moi ; maman pleurait toujours, personne n’osait dire un mot ; nous allions à petites journées. De temps en temps, quand il y avait un joli point de vue, mon père le lui faisait remarquer ; elle regardait d’un air incertain et refermait les yeux. Elle avait tous les soirs une attaque de nerfs. C’est ainsi que nous avons voyagé pendant cinq mois.

  1. Marie-Madeleine d’Affry, née en 1739, fille de Louis-Auguste-Augustin comte d’Affry (né à Versailles le 28 août 1713, ambassadeur de France, lieutenant général, colonel des gardes suisses, chevalier des ordres en 1784, mort en son château de Saint-Barthélémy, dans le canton de Vaud, le 10 juin 1793), et de Marie-Élisabeth d’Alt. Elle épousa, le 21 septembre 1762, François-Frédéric, comte de Diesbach Torny, né à Fribourg en 1739 ; il servit peu de temps au régiment des gardes suisses, où se trouvaient plusieurs membres de sa famille ; rentré dans sa patrie, il occupa diverses places de magistrature, fut nommé, en 1780, chambellan de l’empereur d’Autriche, et mourut sans enfant le 15 septembre 1811. La comtesse de Diesbach, dame de la Croix étoilée d’Autriche, mourut à Fribourg le 22 mars 1822.