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de lui lire haut, ce qu’il fit sur le champ. Au bout d’une demi-heure, quelqu’un s’étant approché ; de lui, s’écria : « C’est de l’anglais ! comment ne l’avez-vous pas dit ? » Il répondit d’un air déconcerté : « J’ai pensé que bonne maman ne sachant pas l’anglais, je devais lire en français. » Jamais il n’aurait songé à le dire. Je crois que rien ne prouve mieux ses connaissances et sa modestie ; je pourrais citer d’autres traits du même genre.

[Monsieur, comte de Provence, est un des hommes les plus instruits, surtout pour les langues. Après l’heure de la Cour, il aimait souvent à s’entretenir avec ceux des courtisans qui avaient, comme lui, le goût de l’étude. Un jour, M. de Montesquiou[1], qui était de sa maison, arriva pour dîner chez ma grand’mère ; il avait à la main un volume d’Horace. Il sortait, dit-il, de chez Monsieur ; lui et d’autres avaient voulu expliquer une ode très difficile, ils n’avaient jamais pu saisir avec précision le véritable sens de l’auteur, ils trouvaient toujours qu’il y manquait quelque chose ; il voulait porter cette ode partout, jusqu’à ce qu’il eût trouvé la véritable idée du poète. Il y avait beaucoup de monde chez ma grand’mère ; chacun se récusa. Alors elle dit à M. de Montesquiou : « Tenez, savez-vous qui il faut consulter ? mon petit-fils. » M. de Lescure avait alors seize ans, il sortait de l’École militaire. On l’appelle ; il était à la fenêtre, bien embarrassé et tournant le dos à tout le monde. Il s’avance, en assurant qu’il y a bien longtemps qu’il n’a lu du latin, qu’il est incapable d’expliquer Horace. « Essayez, je le veux, dit ma grand’mère, il sera très simple que vous ne réussissiez pas. » Il prend le livre, lit l’ode d’un bout à l’autre, très vite, saisit le passage sans hésiter. M. de Montesquiou lui saute au cou, court chez Monsieur, et M. de Lescure, bien rouge, bien honteux, retourne à

  1. Anne-Pierre-Élisabeth, comte de Montesquiou-Fezensac, né à Paris le 31 septembre 1764, premier écuyer de Monsieur, plus tard membre du Corps législatif, grand chambellan de Napoléon, sénateur, pair de France en 1819, mort au château de Courtanvaux, dans la Sarthe, le 4 août 1834.