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tenay, plein d’esprit et de probité ainsi que M. du Chesnier[1], Saintongeois, qui servait dans les Bleus, homme spirituel, royaliste forcené et d’une bravoure étonnante ; mauvaise tête avec sang-froid, il n’a point, par cette raison, fait le chemin qu’il aurait dû. Nous prîmes environ trois ou quatre mille prisonniers, on ne savait qu’en faire : les tuer, c’était un acte de barbarie ; d’abord, on leur avait crié : Rendez-vous, on ne vous fera pas de mal ; et puis, dans ce temps, les Bleus ne fusillaient pas encore tous les prisonniers. Les retenir, c’était affamer le pays et avoir, au milieu de soi, dans un petit espace de terrain, des ennemis mal surveillés, faute de forteresses et de troupes réglées. On se décida donc à en garder un petit nombre, mais on ne voulait pas que les autres pussent revenir une seconde fois, ni nier qu’ils eussent été pris. On proposa plusieurs moyens, celui de mon père prévalut : on les tondit tous, aux grands éclats de rire de toute l’armée. [À cette époque, on ne connaissait pas encore en France l’usage de porter les cheveux à la Titus.] On les renvoya avec serment de ne point servir contre les royalistes, sous peine d’être fusillés, si on les reprenait (loi qu’on a toujours exécutée) ; on tondit aussi tous ceux qu’on garda, afin de les reconnaître, s’ils s’échappaient.

Ce renvoi des prisonniers avait beaucoup d’avantages : dans cet instant, il y en avait de tous les points de la France ; ils apprendraient donc partout, par leur tête chauve, que les Vendéens les avaient battus et pris ; qu’au lieu d’être des brigands destructeurs, ils faisaient grâce, et formaient bien une insurrection royaliste. Il y avait nécessairement, parmi les Bleus, des indi-

  1. François-Xavier-Ambroise Chesnier du Chesne, dit du Chesnier, naquit à Saintes le 5 avril 1769. Il servit d’abord dans la marine royale, puis en 1793 rejoignit l’armée vendéenne ; il fut aide de camp et adjudant général de Charette. Le Roi lui envoya la croix de Saint-Louis. Arrêté à Bordeaux le 4 mai 1796, il s’échappa de la forteresse de Blaye. Il pensa en 1804 à réorganiser la Vendée ; il fut dénoncé et une commission militaire le condamna à mort par contumace, à Nantes, le 14 décembre 1805. Après la Restauration, il se retira près de Saintes, et mourut le 1er avril 1829.