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garda quinze jours, puis il la prêta à la duchesse de Luynes, à Esclimont. Elle y resta sur le billard, la lisait qui voulait.

M. de Barante fut au désespoir, craignant que, par spéculation, on ne fit imprimer ces Mémoires. Il se rendit chez M. de Pommereul, directeur général de la librairie, pour l’avertir que, comme rédacteur, il s’opposait à toute impression de cet ouvrage volé, et, comme préfet, à la publication d’un livre pouvant réveiller des sentiments royalistes. Bonaparte était alors maître de l’Europe ; on ne pouvait imprimer, contre la défense sévère qui en fut faite aussitôt par la police. M. de Pommereul dit à M. de Barante de lui nommer la personne qui avait volé le manuscrit, assurant qu’il le ferait saisir et le lui rendrait ; mais M. de Barante, craignant la puissance de M. de Talleyrand, qui d’ailleurs le protégeait, n’eut garde de le nommer, et il eut raison.

Au retour du Roi, en 1814, j’étais restée à Bordeaux, à cause de mes jeunes enfants ; les circonstances étaient entièrement différentes, toutefois elles me donnaient encore plus la crainte de voir mon manuscrit imprimé. L’administration n’avait plus le droit, comme auparavant, de s’y opposer ; ma mère, qui était à Paris, s’en inquiétait encore plus que moi. Elle me demanda de faire moi-même au plus tôt cette publication. J’avais revu mes Mémoires avec soin, j’abrégeai ou je retranchai plusieurs passages des premiers chapitres, qui contenaient des détails relatifs au temps de ma première jeunesse et sans aucun rapport à la Vendée, et des trois premiers chapitres je n’en fis qu’un. Je corrigeai les épreuves, elles passèrent aussi sous les yeux de M. de Barante. Depuis lors, le livre a eu cinq autres éditions[1] ; la cinquième et la sixième sont les seules auxquelles j’ai fait quelques changements.

J’ai tant de répugnance pour le titre de femme auteur, que j’avais fait mettre en tête de la première : Écrits par elle-même et rédigés par M. le baron de Barante. J’avais mis cela sans le prévenir, aussi a-t-il fait retrancher son nom des éditions suivantes ; mais, en parlant de ses ouvrages, les journaux et les biographies ont souvent dit qu’il était l’auteur de mes Mémoires. Quelques personnes m’ont engagée à réclamer : je ne l’ai pas voulu, il eût

  1. Il y a eu jusqu’à ce jour, 1887, treize éditions numérotées et plusieurs autres.