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nous perdîmes plus de vingt pièces et entre autres la fameuse Marie-Jeanne et tous nos caissons.

[C’est ce jour-là que quatre-vingts paysans, qui faisaient partie de l’aile gauche, s’étant emparés, près de Fontenay, d’un poste important qu’on les chargea de garder, ne s’aperçurent pas de la défaite des leurs. Avertis par hasard, ils retournent sur le champ de bataille, le trouvent désert, et volent toute l’artillerie vendéenne abandonnée. Incertains du parti qu’ils ont à suivre, mais ne désespérant pas de voir leur armée reprendre le dessus, ils ont le courage de rester pour défendre le précieux matériel qu’elle avait perdu. Lorsque les Bleus revinrent de la poursuite, ils eurent à se battre contre cette poignée de braves gens, qui se firent hacher sur leurs canons. Pierre Bibard[1] seul, couvert de vingt-six blessures, fut emmené prisonnier. Comme il était bien vêtu, car il était riche alors, on le prit pour un chef d’importance. Déposé et gardé à vue dans un grenier, il y resta presque nu et en butte aux plus mauvais traitements. Huit jours après, les Vendéens se présentèrent de nouveau devant Fontenay. Dès que l’attaque eut commencé, le soldat républicain qui surveillait le malheureux Bibard se mit à l’accabler de menaces et d’invectives, et, tournant sans cesse contre lui sa baïonnette, il jurait de le tuer, si la ville était prise. Cependant, inquiet et regardant à diverses reprises par la fenêtre, il oublia un instant son fusil ; le prisonnier, presque mourant, se traîna vers l’arme, la saisit, et contraignit son farouche geôlier à se retirer. Après la prise de la ville, ce méchant homme, confronté avec Bibard, attendait en tremblant l’arrêt de mort qui devait suivre des plaintes trop fondées sur la conduite inhumaine et brutale

  1. Pierre Bibard, de la Tessoualle, près Cholet, chevalier de la Légion d’honneur, reçut de la Restauration une pension de 300 francs et l’emploi de garde champêtre, qu’il perdit en 1830. Il se retira à Maulevrier, dans un logement qui lui fut donné par les châtelains du pays, avec une petite rente. Il mourut le 7 novembre 1841, à l’âge de soixante-onze ans, pendant une retraite qu’il était allé faire à la communauté de Saint-Laurent-sur-Sèvre.