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que moi à ce témoignage précieux pour nos familles, nos compagnons et nos sentiments ; il me pria de ne pas exiger une discrétion absolue et de laisser M. de Barante lire mon récit à quelques-uns de ses amis et des nôtres. Il le porta d’abord à Genève chez son père : madame de Staël et un très petit nombre de personnes assistaient à cette lecture ; puis à Paris ils furent, avec l’autorisation de M. de la Rochejaquelein, montrés au duc de Montmorency et au prince de Laval. Bientôt on commença à en parler ; je l’appris par mon cousin germain, le comte, depuis duc de Lorge. Quoique je l’eusse toujours traité en frère, il ignorait, comme tous nos parents, que j’eusse jamais rien écrit ; aussi me manda-t-il qu’on avait pris mon nom, et il disait à tout le monde que ces Mémoires étaient apocryphes.

Je me plaignis à M. de Barante de ce qu’il étendait, plus que je ne le voulais, la permission de mon mari ; je lui exprimai la crainte que cela n’attirât sur nous des persécutions ; j’étais d’autant plus fâchée de cette espèce de publicité, qu’ayant relu sa rédaction, bien des choses ne me contentaient pas, et d’ailleurs l’ordre qu’il y avait mis me faisait apercevoir de plusieurs fautes à corriger. Il cessa aussitôt ses lectures, mais j’appris peu après qu’il avait été fait des copies. M. de Barante s’en défendit, fit des recherches et découvrit ce qui suit :

Il avait prêté le manuscrit à M. Mathieu de Montmorency pour deux jours, et celui-ci à sa mère pour vingt-quatre heures. Le prince de Talleyrand, qui avait l’habitude d’aller chez elle tous les soirs, la trouva lisant mes Mémoires. Il insista pour qu’elle les lui prêtât, mais elle répondit qu’elle ne pouvait y consentir, ayant pris l’engagement formel de les rendre le lendemain matin. M. de Talleyrand se mit à rire en disant : « Cela doit être effectivement fort curieux, mais vous n’avez pas besoin de tant vous dépêcher. » Il sonna et dit : « Qu’on porte ce manuscrit au ministère ; il y a vingt-quatre cahiers, que vingt-quatre commis les copient cette nuit et me les rendent demain matin, cousus comme ils le sont en ce moment. » — « Voilà, ajouta-t-il en se retournant vers madame de Laval, le moyen de lire un manuscrit tranquillement. » M. de Montmorency, sans se douter de rien, remit à M. de Barante le dépôt que celui-ci lui avait confié. Le prince de Bénévent porta la copie à Bonaparte, qui la