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Nous nous mettons en marche dans deux voitures traînées par des bœufs, suivis de nos domestiques armés. Quand nous sommes près de la ville, nous commençons à voir les Vendéens ; nous criions Vive le Roi ! ainsi qu’eux, et nous pleurions à chaudes larmes, de joie et d’attendrissement. J’admirai surtout une cinquantaine de Brigands prosternés au pied du calvaire, rien ne put les distraire de leurs ardentes prières. La ville était remplie de paysans armés, il y en avait environ vingt mille dont six mille avec des fusils ; d’autres avaient des faux retournées, arme effrayante et terrible ; des faucilles, des couteaux au bout de longs bâtons, des broches, ou simplement de gros morceaux de bois, comme des espèces de massue. Tous se croyaient invincibles. Les cloches étaient en branle ; il y avait un grand feu de joie de l’arbre de la liberté et de tous les papiers du district. On nous mena dans une chambre pleine de soldats.

Mon père, MM. de Marigny et des Essarts allèrent trouver les autres officiers, et je fus me promener avec mes femmes autour de la ville. Les paysans, qui ne me connaissaient pas, me demandaient si j’étais de Bressuire ; je leur disais que j’y étais prisonnière, qu’ils m’avaient délivrée ; ils étaient enchantés d’avoir sauvé des nobles, ils attendaient les émigrés, et puisque j’étais aristocrate, ils voulaient me faire embrasser Marie-Jeanne : ils appelaient ainsi une superbe pièce de canon de douze, la première qu’ils eussent prise, une des six pièces du château de Richelieu. Le cardinal avait fait fondre ces canons, en les chargeant d’ornements à sa gloire et à celle de Louis XIII ; elles étaient d’un travail aussi fini que tout ce qu’on peut voir de plus parfait. Les paysans avaient un respect superstitieux pour Marie-Jeanne, et croyaient qu’elle leur assurait la victoire. Je trouvai ce canon sur le milieu de la place, entouré de paysans qui l’embrassaient et l’admiraient ; autour il y en avait treize autres de tout calibre.