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« Mais la bête est râlante et mort est son venin.
Lave-toi, cœur impur, pour que Dieu te pardonne.
Laisse couler ta honte aux pieds de la madone,
Au couvent de Saint-Jean va te rendre nonnain. »

— « Au couvent ! mais quel ciel vaudra jamais le nôtre ?
Non, non, je veux mourir avec mon cœur païen.
J’ai bu l’amour à flots ; je ne regrette rien.
J’ai vu le paradis ; je n’en connais pas d’autre. »

— « Arrête, malheureuse, arrête, Dieu t’entend. »
— « Que m’importe ? Est-ce à lui que je me suis donnée ?
J’ai moi-même cueilli la rose empoisonnée ;
J’ai creusé de mes mains la fosse qui m’attend.

« À l’horizon sanglant notre soleil se couche.
Adieu la douce main qui m’enlevait au ciel,
Adieu la manne d’or et le gâteau de miel
Qui tant de fois, au lit, m’ont parfumé la bouche.

« Tu triomphes, baron, tu crois avoir vaincu ;
Tu ris, vieillard, de ma faiblesse. Elle te brave,
J’ai régné. Voudrais-tu me traiter en esclave ?
Puisque l’amour est mort j’ai bien assez vécu.

« Je ne me repens pas. Si j’ai péché, mon crime
M’est plus cher que jamais et je hais le bourreau.
Pourquoi donc remets-tu ton épée au fourreau ?
Compte bien. Il te manque au moins une victime.