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rSTlIKTIQLE DU RYTHME

la noter : cet exercice nous aidera sans doute à nous y habituer plus vite, mais par lui-même ce n'est qu'un exercice de l'intelligence. Aussi tous le* schémas de longues et de brèves qu'on étalera sous nos yeux pour nous- montrer la beauté d'un vers, dans une langue encore non assimilée, ne peuvent-ils que nous en faire saisir abstraitement les causes sans nous la faire sentir le moins du monde. Leur rôle doit être simplement de nous- guider d'abord dansla lecturedes vers ; c'est là seulement que peuttendre, en dehors de sa valeur scientifique, cet essai sur les principes de la versi- fication anglaise. L'action de la musique du vers ne peut se produire que directement sur une sensibilité préparée par une connaissance vivante di- la langue et de la poésie. Si l'on veut s'en rendre compte, on n'a qui» écouter ou à lire les appréciations qu'en général on porte à l'étranger sur notre poésie lyrique et chez nous sur la poésie lyrique des littératures étrangères. Aucune forme de la poésie nationale ne parle si clairement et si puissamment à un peuple que sa poésie lyrique — aucune n'a l'air plus difl^icile à sentir et à comprendre pour un étranger. Non seulement chaqui- langue a naturellement sa musique particulière ; mais l'emploi traditionnel qu'elle en fait dans la poésie, le rôle qu'elle attribue à l'accent, à la quan- tité, au timbre, aux pauses, au syllabisme, est encore plus spécial et plus, caractéristique. C'est vrai avant tout, peut-être, du vers français, dont per- sonne encore n'a vraiment analysé la musique, et à peine à un degré moindre de ce vers anglais si riche, si souple, si nuancé et pourtant si bien marqué h un coin distinctif.

^ 212. On pourra trouver que j'ai trop insisté sui- l'action du rythme et surtout du timbre, que j'en ai trop matérialisé les influences impondéra- bles et insaisissables. A l'audition d'un poème, qu'on l'entende dire, ou bien qu on le lise soi-même tout haut ou tout bas, ces impressions se sui- vent rapidement et s'enchevêtrent à l'infini ; isolément, elles peuvent sem- bler bien ténues, bien légères, bien fugitives. Mais dans leur complexité ondoyante et chatoyante, pareilles aux vagues sous le soufile capricieux du vent et la lumière changeante et brisée du ciel, elles n'en représentent pas moins pour l'instant l'agitation superficielle de cette insondable mer de sen- timents qu'est le cœur de l'homme, l'âme de l'homme. Sous la surface, au fond, suscités par le sens des mots, tantôt se soulèvent lourdement et s'épan- dent en ondulations massives, tantôt déferlent et tournoient les houles pro- fondes et les profonds courants, chauds ou glacés, doux ou amers, des vastes, pensées et des émotions puissantes. Mais entre mouvement profond et mouvement superficiel, il y a une réaction multiple et incessante. Ils se moulent l'un sur l'autre, ils se provoquent, ils se combinent, ils se con- fondent, ils s'unissent, ils n'en font réellement qu'un seul, immense et universel. Ainsi va cette mer intérieure, déchaînée par les incantations de la poésie, dans un flux et reflux perpétuels, battant sans trêve de ses flots inquiets les plages ensablées ou rocheuses, mornes ou fleuries du réel, roulant sans repos ses lames imj^atientes vers les célestes et inaccessibles horizons de l'idéal.