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ressent les moindres variations avec une extraordinaire vivacité (i). On peut en donner nne preuve : si les vers étrangers n'agissent pas sur nous avec autant do puissance que les vers de notre langue, c'est (jue le mètre lie nous en est pas familier et qu'ainsi le rythme i-esfe pour nous à peu près aussi vague que celui de la prose, à moins qu'il ne nous agace par sou insistance, incompréhensible pour nous.

§ 210. On se dit parfois en notre âge que le temps de la poésie est passé ; •on tourne en dérision ce puéril attirail de rythmes, de rimes, de cadences, <le mesures, et le reste. C'est que par un faux raisonnement on en méconnaît la valeur réelle et le rôle véritable. Certes, il n'est plus besoin de mettre •envers ce qui relève purement ou surtout de l'intelligence. Tout ce qui peut s'exprimer par le sens des mots n'a que faire de ce factice et inutile ■ornement. Les Travaux et les Jours, les Géorgiques, la philosophie, l'his- toire, le drame moderne non seulement peuvent en général s'en passer, ils y gagnent presque toujours. Mais quand on veut traduire et éveiller •directement une sensation, un état d'âme, des émotions profondes et cachées, parfois même à peine conscientes d'elles-mêmes, les frémisse- ments intimes et mvstérieux de l'être phvsique et moral, on ne peut trou- ver d interprète que dans la magie des sons. Evidemment, la poésie n'a pas à cet égard la richesse ni la force de la musique moderne. Mais elle ofire pourtant un avantage : c'est que par le sens des mots elle précise le sentiment excité par leurs impressions sonores, elle lui permet de se fixer sur une image définie, de tendre vers un but déterminé (2). Et les sons familiers dont elle se sert pour en composer ses mélodies, sans jamais eu défigurer le timbre naturel, ont aussi l'avantage de nous parler un lan- gage connu : ils sont comme chargés de souvenirs émotionnels ; ils vivent de notre vie — toute notre vie passée s'y rattache, et notre vie à venir y ■est comme contenue; ils sont mêlés à nous, et nous sommes mêlés à eux ; ils sont bien la chair de notre chair et le sang de notre sang (3).

C'est dans la poésie lyrique, naturellement, dans cette poésie par excel- lence, que la magie des rvthmcs et des sons exerce pleinement son mysté- rieux prestige.

§ 211. Encore faut-il ajouter: dans la poésie Ivrique de notre langue maternelle ou d'une laugue qui est devenue, elle aussi, la chair de notre chair et le sang de notre sang. La musique des langues étrangères peut nous séduire et nous charmer: elle conserve pourtant quelque chose d'étran- ger ; elle ne parle pas à notre cœur ni à notre imagination par toutes les nuances du rythme, du timbre et de l'intonation. Nous pouvons l'analyser,

(i) Ces remarques s'appliquent aussi au bluiih verse, malgré sa ressemblance avec la prose rythmée : si vague qu'en puisse devenir le mi'trc, comme dans les derniers drames de Shakes- peare, il n'en reste pas moins par sa familiarité le fond sur lequel le porte hrude ses variations, le cadre au moins subjectif dans lequel se déroule pour nous, en le débordant plus ou moins, la peinture auditive de chaque vers.

(2) « Il manque à la musique, privée du secours de la poésie, le moyen de désigner claire- ment l'objet du sentiment » (Ilelmholtz, /. c, p. 33o, cp. p. 33 r).

(3) V. /'•« Partie. § i55.