l4o ESTHÉTIQUE DU RYTHME
sans doute fréquemment, maint exemple denjambement slrophique. Le fait, en tout cas, reste incontestable et incontesté, que pour les contemporains le « vers d'Otfrid » pouvait se chanter et qu'il se chantait: nous en avons la preuve dans les neumes qui se trouvent au-dessus de quelques vers du KristÇl, v, 3 et 4, dans le Palatinas, v. cd, Kclle, 11. ïafel l\), des vers où se rencontrent justement des formes que M. Sai-an déclare irréductibles au rythme (3 b et /) a), et au-dessus de tous les vers du chant de St Pierre, dont l'un reproduit exactement un vers du Krist (I, vu, 28; v. Miillenhoff-Scherer, Denkmàler, 3 éd., II, p. 62 et suiv., et Erk-Bohnie, Deutscher Liederhort, Leipzig, 189^, III, p. i78etsuiv.). Non seu- lement les deux principales objections deM.Saran toujbent : les faits sur lesquels il s'appuie fournissent précisément la réfutation de sa théorie. — En revanche, je doute que le Brut de Layamon se soit chanté. Je cite ses vers faute d'autres exemples; mais il s'en trouve d'analogues dans les chansons, on le verra plus loin.
6" Concordance entre le chant et sa matière linguistique.
§ 1/17. Le rvthme du chant s'est donc moulé sur la quantité ou laccen- tuation des syllabes, au moins quand elle était bien marquée, ou plutôt il V a eu adaptation réciproque, mais respectueuse en principe de la matière linguistique. Il en est de même au point de vue des divisions rythmiques : la phrase musicale et le vers ne font qu'un, comme le membre de phrase et l'hémistiche (ou le petit vers), aussi bien que la période-phrase et le vers, la période hypermètre et la strophe simple ou composée, etc. A cet égard, il n'a pu se produire de grands changements au cours de l'évolu tion du chant : il va sans dire que renjambement constitue une grosse faute, et que le vers doit se terminer par un mot complet (^-A'ke'.x '/dz'.:). L;i mélodie se modelait aussi sur les intonations naturelles de la langue par- lée, dont elle n'a d'abord été qu'une régularisation, une forme simplifiée et perfectionnée : « L'art, a-t-011 dit de la musique grecque elle-même, se rapproche ainsi beaucoup plus de la déclamation parlée que de la musique pure (i). » Quant à la musique instrumentale, ses v.pzj[j.x-x ne servaient au début qu'à accompagner le chant à l'unisson ou par des accords très simples (2).
En somme, la poésie règle et domine la musique (3).
7° Séparation des vers et de la musique. § i48. Poète et musicien, à l'origine et pendant bien longtemps, c'est
(i) Poiréc, /. c, p. 12. — ^ . sur ce point, I'" Partie, § i^o, •2'^--^". Celte remarque s'ap- plique aussi à l'habitude de mettre deux notes sur une syllabe longue, comme on l'a fait de tout temps chez les Grecs (pour Eschyle, Pindarc, hymnes à Apollon, v. Th. Reinacli, Revue de Mé- trique, I, r, i3 et suiv.), ou même plus de deux notes, ainsi qu'Euripide en a le premier donné l'exemple, non sans soulever des protestations (d'Eschyle et d'Aristophane) : il ne faut pas y voir un nouvel écart entre le chant et la langue parlée, bien au contraire (v. /■■« Partie, § I25).
(2) Toi); o'àp/ai'o'j; ::âv:a -pds/opoa -/.pojE'.v (Plutarque, De Musica, c. 28).
(3) ripwtaywvt'îTO'j'Tï,; 5r|XovÔT'. tt-; T.O'.r^dzu): (ib., c. 2Ç),fin). Platon avait dit: Trjv ys âiji,ov'AV Y.x\ fvO;jLOv x/.oAQvOçTv 5;? ko Xopo, {Rép. IJI, Chap. X). Cp. 5; i^4 bis., fin.