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LE RYTHME ARTISTIQUE QI

Pour la même raison, nous tendons à rythmer la parole, même en cau- sant, dans des proportions qui varient suivant les langues et les individus. Pour ne pas se fatiguer, peut-ôtre aussi pour impressionner davantage leur auditoire, les orateurs rythment encore davantage leurs discours ; Jaurès scande même ses phrases d'un geste bref de la main droite; quelques ora- teurs anciens, pour mieux aller en mesure, se faisaient accompagner par un joueur de flûte. Si leur langage ne se transforme pas ainsi en vers, c'est qu'il se meut à travers des rythmes libres, en dehors de toute unité régu- lière, de tout dessin métrique (i). Il est pourtant bien évident que le principe du moindre efl'ort ne suflfit pas à expliquer l'introduction du rythme organisé dans le chant et dans la poésie : autrement, elle se serait produite à plus forte raison dans la langue parlée, surtout dans les dis- cours.

§ 96. Accoutumé à se servir du rvthme moteur et sonore pour régler et stimuler son activité dans les exercices de la guerre, tels que la marche au pas et le maniement de certaines armes, aussi bien que dans l'exercice des divers métiers, l'homme a-t-il simplement transporté ou plutôt conservé par habitude ce rythme du travail dans la manifestation de ses émotions parle mouvement et par la parole, dans la danse et dans le chant? La danse et le chant auraient donc été simplement engendrés, pour ainsi dire, par ce rvthme du travail. C'est la théorie que soutiennent MM. Biichcr et \\ undt. Elle existait déjà chez les anciens. Us attribuaient 1 invention des rythmes musicaux aux Dactvles, génies industrieux que la légende place tantôt en Crète, tantôt en Phrygie(2). Solin (XI, 6) nous en donne ainsi l'explication, dans un passage qu'a reproduit Isidore (O/v'i,'". , XI, 6) : « Stu- <Jium musicum inde coeptum, cum Idaei Dactyli modulos (3) crepitu ac tinnitu aeris deprehensos in uersificum ordinem transtulissent ». D'après eux, par conséquent, (( c'est du va-et-vient mesuré du marteau de forge <|u'est né le rythme poétique » (Plutarque, de Miisica, éd. Weil-Reinach. note du 5; 23). C'est probablement le nom des Dactyles qui leur a fait attri- buer l'invention du dactyle et ensuite des autres pieds; l'explication est venue plus tard. Quoi qu'il en soit, l'hypothèse est vieille qui voit dans le rythme du travail l'origine du rythme artistique. Mais le chant et la danse existaient bien longtemps avant que les guerriers eussent appris à marcher au pas et à manier leurs armes en mesure. Ils existent chez les primitils, les Australiens, par exemple, qui ne connaissent aucune industrie, n'exer- cent aucun métier. Tout porte à croire qu'il en était de même chez les an- cêtres sauvages des peuples civilisés. D'ailleurs, l'habitude ne peut sudlrf à expliquer pourquoi l'homme aurait ainsi transporté le rythme du travail

(i) Sur le rytlimc oratoire, v. Cicéron, De Oralore, III, l^!i, ^8 et ^9^ Oralor, 58; Quinli- licn, Institut., I, 10, IX, ^, XI, 3, Compositio Verb., 23; L. Havct, La Prose métrique de Sym- maque, Paris, 1892 ; \V. Mcyer, Mittellat. rythmik, Berlin, igoS ; Zielinski, dcr Rhylhmus der rômischen Kunstprnsa (Archiv f. d, gesammte Psychologie, VII, iqoG); etc.

(2) £■!; oj; .. f; Tojv /.x-x |i.oji'./.f|V ejocI;; pjO;j.ojv x'iX-^i^i-Oi'. (Clem. Alex., Strom., I, lO).

(3) Modulos désigne ici le rythme, de même que modulatlo chez Bède (Keil , MI, p. 208).