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CAPITAINE SAND

figurait la terre, sur la droite de ce vaste Océan. C’était le littoral de l’Amérique du Sud, immense barrage jeté entre le Pacifique et l’Atlantique, depuis le cap Horn jusqu’aux rivages de la Colombie. À la considérer ainsi, cette carte, qui se développait alors sous ses yeux, sur laquelle tenait un océan tout entier, elle devait donner à penser qu’il serait facile de rapatrier les passagers du Pilgrim. C’est une illusion qui se reproduit invariablement pour qui n’est pas familiarisé avec les échelles auxquelles se rapportent les cartes marines. Et, en effet, il semblait à Mrs Weldon que la terre devait être en vue, comme elle l’était sur ce morceau de papier !

Et cependant, au milieu de cette page blanche, le Pilgrim, figuré à l’échelle exacte, aurait été plus petit que le plus microscopique des infusoires ! Ce point mathématique, sans dimensions appréciables, eût paru perdu comme il l’était en réalité dans l’immensité du Pacifique !

Dick Sand, lui, n’avait pas éprouvé la même impression que Mrs Weldon. Il savait combien la terre était éloignée, et que bien des centaines de milles ne suffisaient pas à en mesurer la distance. Mais son parti était pris : il était devenu un homme sous la responsabilité qui lui incombait.

Le moment était venu d’agir. Il fallait profiter de cette brise de nord-ouest qui fraîchissait. Le vent contraire avait fait place au vent favorable, et quelques nuages, éparpillés au zénith sous la forme cirrus, indiquaient qu’il tiendrait au moins pendant un certain temps.

Dick Sand appela Tom et ses compagnons.

« Mes amis, leur dit-il, notre navire n’a plus d’autre équipage que vous. Je ne puis manœuvrer sans votre aide. Vous n’êtes pas marins, mais vous avez de bons bras. Mettez-les donc au service du Pilgrim, et nous pourrons le diriger. Il va de notre salut à tous que tout marche bien à bord.

— Monsieur Dick, répondit Tom, mes compagnons et moi, nous sommes vos matelots. La bonne volonté ne nous manquera pas. Tout ce que des hommes peuvent faire, commandés par vous, nous le ferons.

— Bien parlé, vieux Tom, dit Mrs Weldon.

— Oui, bien parlé, reprit Dick Sand, mais il faut être prudent, et je ne forcerai pas de toile, afin de ne rien compromettre. Un peu moins de vitesse, mais plus de sécurité, c’est ce que nous commandent les circonstances. Je vous indiquerai, mes amis, ce que chacun aura à faire dans la manœuvre. Quant à moi, je resterai au gouvernail tant que la fatigue ne m’obligera pas à l’abandonner. De temps en temps, quelques heures de sommeil suffiront à me remettre. Mais, pendant ces quelques heures, il faudra bien que l’un de vous me remplace.