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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

mais la fatigue finit bientôt par fermer ses yeux, et avec ses yeux ses oreilles.

Cousin Bénédict, pendant quelque temps encore, continua à disserter. Cependant, le sommeil eut enfin raison de lui, et il remonta jusqu’à la cavité supérieure du cône, dans laquelle il avait déjà élu domicile.

Un profond silence se fit alors dans l’intérieur de la fourmilière, pendant que l’orage emplissait l’espace de fracas et de feux. Rien ne semblait indiquer que le cataclysme fût près de sa fin.

La lanterne avait été éteinte. L’intérieur du cône était plongé dans une obscurité absolue.

Tous dormaient, sans doute. Dick Sand seul ne cherchait pas dans le sommeil ce repos qui lui eût été si nécessaire, cependant. Sa pensée l’absorbait. Il songeait à ses compagnons, qu’il voulait à tout prix sauver. L’échouement du Pilgrim n’avait pas marqué la fin de leurs cruelles épreuves, et de bien autrement terribles les menaçaient, s’ils tombaient entre les mains des indigènes.

Et comment éviter ce danger, le pire de tous, pendant ce retour à la côte ? Bien évidemment, Harris et Negoro ne les avaient point amenés à cent milles dans l’intérieur de l’Angola sans un dessein secret de s’emparer d’eux ! Mais que méditait donc ce misérable Portugais ? À qui en voulait sa haine ? Le jeune novice se répétait que lui seul l’avait encourue, et alors il passait en revue tous les incidents qui avaient signalé la traversée du Pilgrim, la rencontre de l’épave et des noirs, la poursuite de la baleine, la disparition du capitaine Hull et de son équipage !

Dick Sand se retrouvait alors, à quinze ans, chargé du commandement d’un navire, auquel la boussole et le loch allaient bientôt manquer par la criminelle manœuvre de Negoro. Il se revoyait faisant acte d’autorité vis-à-vis de l’insolent cuisinier, le menaçant de l’envoyer aux fers ou de lui faire sauter la tête d’un coup de revolver ! Ah ! pourquoi sa main avait-elle hésité ! Le cadavre de Negoro aurait été jeté par-dessus le bord, et tant de catastrophes ne se seraient pas produites !

Tel était le cours des pensées du jeune novice. Puis, elles s’arrêtaient un instant sur le naufrage qui avait terminé la traversée du Pilgrim. Le traître Harris apparaissait alors, et cette province de l’Amérique méridionale se transformait peu à peu. La Bolivie devenait l’Angola terrible, avec son fiévreux climat, ses bêtes fauves, ses indigènes plus cruels encore ! La petite troupe pourrait-elle y échapper pendant son retour à la côte ? Cette rivière, que Dick Sand recherchait, qu’il espérait rencontrer, les conduirait-elle au littoral avec plus de sécurité, avec moins de fatigues ? Il n’en voulait pas douter, car il savait