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coup de vent de nord-est.

de la ville, ils ne laissaient pas d’être très considérables, estacades rompues, dogres désemparés, barques disjointes, que le jusant ramenait des hautes régions du fleuve.

Cependant, on ne voyait passer ces épaves que dans un rayon de quelques yards au delà des berges. Un brouillard très dense s’était accumulé sur le lit même du Saint-John en s’élevant vers les hautes zones, refroidies par la tempête. À cinq heures, le chenal n’était pas encore visible en son milieu, et il ne le deviendrait qu’au moment où ce brouillard se serait dissipé sous les premiers rayons du soleil.

Soudain, un peu après cinq heures, de formidables éclats trouèrent l’épaisse brume. On ne pouvait s’y tromper, ce n’étaient point les roulements prolongés de la foudre, mais les détonations déchirantes de l’artillerie. Des sifflements caractéristiques fusaient à travers l’espace. Un cri d’épouvante s’échappa de tout ce public, milice ou populace, qui s’était porté vers le port.

En même temps, sous ces détonations répétées, le brouillard commençait à s’entrouvrir. Ses volutes, mêlées aux fulgurations des coups de feu, se dégagèrent de la surface du fleuve.

Les canonnières de Stevens étaient là, embossées devant Jacksonville, qu’elles tenaient sous leurs bordées directes.

« Les canonnières !… Les canonnières !… »

Ces mots, répétés de bouche en bouche, eurent bientôt couru jusqu’à l’extrémité des faubourgs. En quelques minutes, la population honnête, avec une extrême satisfaction, la populace, avec une extrême épouvante, apprenaient que la flottille était maîtresse du Saint-John. Si l’on ne se rendait pas, c’en était fait de la ville.

Que s’était-il donc passé ? Les nordistes avaient-ils trouvé dans la tempête une aide inattendue ? Oui ! Aussi les canonnières n’étaient-elles point allées chercher un abri vers les criques inférieures de l’embouchure. Malgré la violence de la houle et du vent, elles s’étaient tenues au mouillage. Pendant que leurs adversaires s’éloignaient avec les chaloupes, le commandant Stevens et ses équipages avaient fait tête à l’ouragan, au risque de se perdre, afin de tenter un passage que les circonstances allaient peut-être rendre praticable. En