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Quoi qu’il en soit, le mieux était de s’en rapporter à l’instinct spécial de nos deux guides, particulièrement de James Bruck. Je crois que ce brave garçon en aurait remontré à un singe pour l’adresse, à un isard pour l’agilité. Par malheur, ni Élias Smith ni moi n’aurions pu nous hasarder là où se hasardait cet audacieux.

Cependant, en ce qui me concerne, j’espérais ne pas rester en arrière, étant grimpeur de ma nature, et très habitué aux exercices corporels. Partout où passerait James Bruck, j’étais résolu à passer aussi, dût-il m’en coûter quelques dégringolades. Mais il n’en était pas de même du premier magistrat de Morganton, moins jeune, moins vigoureux, plus grand, plus gros de taille, et de pas moins assuré. Visiblement, jusqu’alors, il avait fait tous ses efforts pour ne pas s’attarder. Parfois il soufflait comme un phoque, et, malgré lui, je l’obligeais à reprendre haleine.

Bref, il nous fut démontré que l’ascension du Great-Eyry exigerait plus de temps que nous ne l’avions estimé. Nous avions pensé avoir atteint le cadre rocheux avant onze heures, et, certainement, lorsque midi sonnerait, nous en serions encore à quelques centaines de pieds.

En effet, vers dix heures, après tentatives réitérées pour découvrir des routes praticables, après nombreux détours et retours, l’un des guides donna le signal de halte. Nous nous trouvions à la lisière supérieure de la partie boisée, et les arbres, plus espacés, permettaient aux regards de s’étendre jusqu’aux premières assises du Great-Eyry.

« Eh ! eh ! fit M. Smith, en s’accotant contre un gros latanier, un peu de répit, de repos, et même de repas, ne me serait pas désagréable !…

— Pendant une heure, répondis-je.

— Oui, et, après nos poumons et nos jambes, à notre estomac de travailler ! »