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à bord de l’épouvante

Il me repoussa sans violence, mais d’un mouvement qui dénotait une vigueur peu commune.

Revenant une seconde fois devant lui :

« Que voulez-vous faire de moi ?… » demandai-je d’un ton plus vif.

Je crus que quelques mots s’échapperaient enfin de ces lèvres, contractées par une visible irritation. Aussi, comme pour s’en empêcher, il détourna la tête. Puis, sa main s’appuya sur le régulateur.

Aussitôt la machine fonctionna plus rapidement.

La colère me prit, et, ne me possédant plus, j’allais lui crier :

« Soit !… gardez le silence !… Moi… je sais qui vous êtes, comme je sais quel est cet appareil, signalé à Madison, à Boston, au lac Kirdall !… Oui ! le même qui court sur les routes, à la surface des mers et des lacs et sous les eaux !… Et ce bateau, c’est l’Épouvante, et vous qui le commandez… c’est vous qui avez écrit cette lettre au gouvernement… vous qui vous croyez de force à lutter contre le monde entier… vous !… le Maître du Monde !… »

Et comment l’eût-il pu nier ?… Je venais d’apercevoir les fameuses initiales inscrites sur la barre.

Heureusement, je parvins à me contenir, et, désespérant d’obtenir une réponse à mes questions, je revins m’asseoir près du panneau de ma cabine… Et, pendant de longues heures, je ne cessai d’observer l’horizon dans l’espoir qu’une terre paraîtrait bientôt.

Oui ! attendre… j’en étais réduit là… attendre !… La journée ne finirait pas sans doute avant que l’Épouvante ne fût en vue du littoral de l’Érié, puisque sa direction se maintenait imperturbablement au nord-est !