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les tribulations d’un chinois en chine

Personne n’ignore que la Chine est, par excellence, le royaume où les insurrections peuvent durer pendant bien des années, et soulever des centaines de mille hommes. Or, au dix-septième siècle, la célèbre dynastie des Ming, d’origine chinoise, régnait depuis trois cents ans sur la Chine, lorsque, en 1644, le chef de cette dynastie, trop faible contre les rebelles qui menaçaient la capitale, demanda secours à un roi tartare.

Le roi ne se fit pas prier, accourut, chassa les révoltés, profita de la situation pour renverser celui qui avait imploré son aide, et proclama empereur son propre fils Chun-Tché.

À partir de cette époque, l’autorité tartare fut substituée à l’autorité chinoise, et le trône occupé par des empereurs mantchoux.

Peu à peu, surtout dans les classes inférieures de la population, les deux races se confondirent ; mais, chez les familles riches du Nord, la séparation entre Chinois et Tartares se maintint plus strictement. Aussi, le type se distingue-t-il encore, et plus particulièrement au milieu des provinces septentrionales de l’Empire. Là se cantonnèrent des « irréconciliables », qui restèrent fidèles à la dynastie déchue.

Le père de Kin-Fo était de ces derniers, et il ne démentit pas les traditions de sa famille, qui avait refusé de pactiser avec les Tartares. Un soulèvement contre la domination étrangère, même après trois cents ans d’exercice, l’eût trouvé près à agir.

Inutile d’ajouter que son fils Kin-Fo partageait absolument ses opinions politiques.

Or, en 1860, régnait encore cet empereur S’Hiène-Fong, qui déclara la guerre à l’Angleterre et à la France, — guerre terminée par le traité de Péking, le 25 octobre de ladite année.

Mais, avant cette époque, un formidable soulèvement menaçait déjà la dynastie régnante. Les Tchang-Mao ou Taï-ping, les « rebelles aux longs cheveux », s’étaient emparés de Nan-King en 1853 et de Shang-Haï en 1855. S’Hiène-Fong mort, son jeune fils eut fort à faire pour repousser les Taï-ping. Sans le vice-roi Li, sans le prince Kong, et surtout sans le colonel anglais Gordon, peut-être n’eût-il pu sauver son trône.

C’est que ces Taï-ping, ennemis déclarés des Tartares, fortement organisés pour la rébellion, voulaient remplacer la dynastie des Tsing par celle des Wang. Ils formaient quatre bandes distinctes ; la première à bannière noire, chargée de tuer ; la seconde à bannière rouge, chargée d’incendier ; la troi-