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XIV

l'abdication.

Le Kaw-djer pleurait…

Combien poignantes les larmes d’un tel homme ! Avec quelle éloquence, elles criaient sa douleur !

Il avait commandé : « Feu ! », lui ! Par son ordre, les balles avaient tracé leurs sillons rouges ! Oui, les hommes l’avaient réduit à cela, et, par leur faute, il était désormais pareil aux plus odieux de ces tyrans qu’il avait haïs d’une haine si farouche, puisqu’il sombrait comme eux dans le meurtre, dans le sang !

Bien plus, il fallait en répandre encore. L’œuvre n’était qu’ébauchée. Il restait à la parfaire. En dépit de toutes les apparences contraires, là était le devoir certain.

Ce devoir, le Kaw-djer le regarda courageusement en face. Son abattement fut de courte durée, et bientôt il reconquit toute son énergie. Laissant aux vieillards et aux femmes le soin d’ensevelir les morts et de relever les blessés, il se lança sans retard à la poursuite des fuyards. Ceux-ci, frappés de terreur, ne songeaient plus à opposer la moindre résistance. De jour et de nuit, on les chassa comme du bétail.

À plusieurs reprises, les forces hosteliennes se heurtèrent à des bandes venant trop tard à la rescousse. Celles-ci furent dispersées sans difficulté l’une après l’autre et successivement rejetées vers le Nord.

L’île fut sillonnée en tous sens. On en trouvait le sol parsemé des restes de ceux des prospecteurs que la faim avait poussés hors de leurs tanières et qui avaient péri dans la neige au cours de l’hiver précédent. Longtemps, le froid avait conservé leurs