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— Sur tous les points.

— Il est de mon devoir de vous prévenir, ajouta le Kaw-djer, que, pendant un certain temps tout au moins, l’État hostelien est dans l’impossibilité de vous garantir la libre disposition de la concession qu’il vous accorde et de protéger efficacement vos personnes.

Les deux jeunes gens sourirent avec assurance.

— Nous saurons nous protéger nous-mêmes », répondit tranquillement Maurice Reynaud.

La concession signée, le titre en fut remis aux deux amis, qui prirent aussitôt congé. Trois heures plus tard, ils avaient quitté Libéria, en route pour l’extrémité occidentale de la chaîne médiane de l’île, où se trouvait leur concession.

Loin de s’apaiser, l’anarchie de l’intérieur ne fit que s’accroître à mesure que l’été s’avançait. L’exagération s’en mêlant, les imaginations se montant dans l’Ancien et dans le Nouveau Monde, on y regardait l’île Hoste comme une poche extraordinaire, comme une île en or. Aussi les prospecteurs affluaient-ils. Repoussés du port, ils filtraient par toutes les baies de la côte. Dans les derniers jours de janvier, le Kaw-djer, s’en référant aux renseignements qui lui arrivaient de divers côtés, ne put évaluer à moins de vingt mille le nombre des étrangers entassés sur quelques points où ils finiraient par s’entre-dévorer. Que n’avait-on pas à redouter de ces forcenés déjà en lutte sanglante pour la possession des claims, lorsque la famine les jetterait les uns sur les autres !

Ce fut vers cette époque que le désordre atteignit son maximum. Dans cette foule sans frein, il se déroula de véritables scènes de sauvagerie dont plusieurs Hosteliens furent les victimes. Dès que la nouvelle lui en parvint, le Kaw-djer se rendit courageusement aux placers et se lança au milieu de cette tourbe. Tous ses efforts furent inutiles, et son intervention faillit même tourner très mal pour lui. On le repoussa, on le menaça, et peu s’en fallut qu’elle ne lui coûtât la vie.

Elle eut par contre un résultat auquel il était loin de s’attendre. La foule hétérogène des aventuriers comprenait des gens, non seulement de toutes les races du monde, mais aussi de toutes les conditions. Semblables dans leur déchéance actuelle, ils étaient au contraire fort différents par leurs origines. Si la plupart sor-