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En dehors de la cargaison généreusement envoyée par le Chili au profit commun de la nouvelle colonie, le Ribarto apportait également toute une pacotille pour le compte particulier de l’un des colons, qui n’était autre qu’Harry Rhodes.

Incapable de s’adonner à des travaux agricoles auxquels son éducation ne l’avait en aucune façon préparé, Harry Rhodes avait eu l’idée de se transformer en commerçant importateur. C’est pourquoi, au moment de la proclamation d’indépendance, alors qu’on était en droit de prévoir pour la nation naissante une heureuse destinée, il avait chargé le commandant de l’aviso de lui expédier cette pacotille quand il en trouverait l’occasion. Celui-ci s’étant fidèlement acquitté de cette mission, le Ribarto transportait d’ordre et pour compte d’Harry Rhodes une infinité d’objets divers, de médiocre importance isolément, mais ayant tous cette qualité d’être de première nécessité. Fil, aiguilles, épingles, allumettes, chaussures, vêtements, plumes, crayons, papier à lettres, tabac, et mille autres objets, constituaient cette pacotille, véritable assortiment de bazar.

Certes, le projet d’Harry Rhodes était des plus raisonnables, ses choix des plus judicieux. Néanmoins, du train dont allaient les choses, il était à craindre que son assortiment ne lui restât pour compte. Rien n’indiquait qu’un courant de transaction dût jamais s’établir parmi les Hosteliens, qui, en l’absence de toute règle commune endiguant, limitant, solidarisant les égoïsmes individuels, n’étaient autre chose qu’un agrégat fortuit de solitaires.

Harry Rhodes, à en juger par la tournure des événements, considérait désormais l’échec de son entreprise comme si probable, qu’il fut tenté de laisser sa pacotille sur le Ribarto, d’y prendre lui-même passage et de quitter un pays dont il ne semblait pas qu’il y eût rien à espérer.

Mais où serait-il allé, encombré de ces marchandises hétéroclites, si précieuses dans une région presque sauvage, et qui deviendraient sans valeur dans les contrées où elles abondent ? Toutes réflexions faites, il se résolut à patienter encore. Il n’était pas à supposer que ce bâtiment fût le dernier qui aborderait dans ces parages. L’occasion se retrouverait donc de quitter l’île Hoste, si la situation ne s’améliorait pas.

Le déchargement de sa cargaison terminé, le Ribarto leva