Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À cet endroit s’étendait un vaste plateau, borné à l’Ouest par d’épaisses forêts et, dans l’Est, par une large vallée au fond de laquelle serpentait une rivière. Cette vallée, tapissée d’une herbe drue, constituait un magnifique pâturage où d’innombrables troupeaux eussent aisément trouvé leur nourriture. Quant au plateau, il semblait recouvert d’une couche d’humus qui deviendrait excellent, lorsque la pioche l’aurait défriché et débarrassé de l’inextricable réseau de racines qui le sillonnaient de toutes parts.

Les colons se mirent à l’œuvre. Leur premier soin fut d’élever quatre petites fermes, aux murs formés de troncs d’arbres. Mieux valait, au prix d’un travail supplémentaire, être chacun chez soi ; la bonne entente en bénéficierait par la suite.

Le mauvais temps, la neige et le froid ne retardèrent pas d’une heure la construction de ces habitations. Elles étaient achevées lors de la visite du Kaw-djer. Celui-ci revint émerveillé de ce que peut accomplir une volonté tendue vers son but. Déjà, les Rivière étaient en train d’établir une roue à aubes pour utiliser une chute naturelle du cours d’eau. Cette roue fournirait la force à la scierie, où la pesanteur ferait descendre automatiquement le bois abattu sur le plateau. Les Gimelli et les Ivanoff avaient, de leur côté, attaqué le sol à coups de pioche, et le préparaient pour la charrue, que traîneraient, quand le temps en serait venu, ces mêmes bêtes à cornes à l’intention desquelles les Gordon limitaient concurremment de vastes enclos.

Dussent ces efforts rester stériles, le Kaw-djer estima ce besoin d’agir préférable à l’apathie des autres émigrants.

Ceux-ci, comme de grands enfants qu’ils étaient, jouirent du soleil tant qu’il brilla, puis, le ciel redevenu inclément, ils se terrèrent sous leurs abris et y vécurent confinés comme la première fois, pour en ressortir dès que revint une éclaircie. Un mois s’écoula ainsi, avec des alternatives de beaux jours en minorité et de mauvais beaucoup plus nombreux. On arriva au 21 juin, date du solstice d’hiver pour l’hémisphère austral.

Pendant ce mois passé à la baie Scotchwell, des changements étaient déjà survenus dans la répartition des émigrants. Des brouilles et de nouvelles amitiés avaient motivé des permutations entre les habitants des diverses maisons démontables. D’autre part, des groupements particuliers commençaient à se