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et tout indiquait que le favorable pronostic de l’opérateur se réaliserait au jour dit.

Celui-ci, après sa tournée médicale, entrait dans la tente de la famille Rhodes, et on causait une heure ou deux de tout ce qui intéressait les naufragés. Le Kaw-djer s’attachait de plus en plus à cette famille. Il goûtait la bonté simple de Mme Rhodes et de sa fille Clary qui jouaient avec dévouement le rôle d’infirmières près des malades qu’il leur signalait. Quant à Harry Rhodes, il en appréciait le sens droit et l’esprit bienveillant, et, entre les deux hommes, naissaient peu à peu des sentiments de véritable amitié.

« J’en arrive à me féliciter, dit un jour Harry Rhodes au Kaw-djer, que ces coquins aient essayé de s’emparer de votre chaloupe. Peut-être, si elle était en bon état, auriez-vous eu le désir de nous quitter, une fois tout le monde installé. Tandis que, maintenant, vous êtes notre prisonnier.

— Il faudra bien que je parte, cependant, objecta le Kaw-djer.

— Pas avant le printemps, répliqua Harry Rhodes. Voyez combien vous êtes utile à tous. Il y a ici nombre de femmes et d’enfants que vous seul êtes capable de soigner. Que deviendraient-ils sans vous ?

— Pas avant le printemps, soit ! concéda le Kaw-djer. Mais à ce moment, comme tout le monde s’en ira, rien ne s’opposera à ce que je reprenne la mer.

— Pour retourner à l’Île Neuve ?

Le Kaw-djer ne répondit que par un geste évasif. Oui, l’Île Neuve était sa demeure. Là il avait vécu de longues années. Y retournerait-il ? Les raisons qui l’en avaient éloigné existaient toujours. L’Île Neuve, terre libre naguère, était désormais soumise à l’autorité du Chili.

— Si j’avais voulu partir, dit-il, désireux de passer à un autre sujet, je crois que mes deux compagnons n’en eussent pas été également satisfaits. Halg, sinon Karroly, n’eût quitté l’île Hoste qu’à regret, et peut-être même s’y serait-il refusé avec énergie.

— Pourquoi cela ? demanda Mme Rhodes.

— Pour la raison bien simple que Halg, je le crains, a le malheur d’être amoureux.

— Le beau malheur ! plaisanta Harry Rhodes. Être amoureux, c’est de son âge.

— Je ne dis pas non, reconnut le Kaw-djer. N’importe ! le