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laissa le chariot marcher en avant sous la conduite d’Ayrton et de Mulrady. Il devait le rejoindre quelques heures plus tard. Paganel fut enchanté de cette détermination, et, suivant son habitude, il se fit le guide et le cicerone de la petite troupe.

D’après son conseil, on se dirigea vers la Banque. Les rues étaient larges, macadamisées et arrosées soigneusement. De gigantesques affiches des Golden Company (limited), des Digger’s General Office, des Nugget’s Union, sollicitaient le regard. L’association des bras et des capitaux s’était substituée à l’action isolée du mineur. Partout on entendait fonctionner les machines qui lavaient les sables et pulvérisaient le quartz précieux.

Au delà des habitations s’étendaient les placers, c’est-à-dire de vastes étendues de terrains livrés à l’exploitation. Là piochaient les mineurs engagés pour le compte des compagnies et fortement rétribués par elles. L’œil n’aurait pu compter ces trous qui criblaient le sol. Le fer des bêches étincelait au soleil et jetait une incessante irradiation d’éclairs. Il y avait parmi ces travailleurs des types de toutes nations. Ils ne se querellaient point, et ils accomplissaient silencieusement leur tâche, en gens salariés.

« Il ne faudrait pas croire cependant, dit Paganel, qu’il n’y a plus sur le sol australien un de ces fiévreux chercheurs qui viennent tenter la fortune au jeu des mines. Je sais bien que la plupart louent leurs bras aux compagnies, et il le faut, puisque les terrains aurifères sont tous vendus ou affermés par le gouvernement. Mais à celui qui n’a rien, qui ne peut ni louer ni acheter, il reste encore une chance de s’enrichir.

— Laquelle ? demanda lady Helena.

— La chance d’exercer le « jumping, » répondit Paganel. Ainsi, nous autres, qui n’avons aucun droit sur ces placers, nous pourrions cependant, — avec beaucoup de bonheur, s’entend, — faire fortune.

— Mais comment ? demanda le major.

— Par le jumping, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire.

— Qu’est-ce que le jumping ? redemanda le major.

— C’est une convention admise entre les mineurs, qui amène souvent des violences et des désordres, mais que les autorités n’ont jamais pu abolir.

— Allez donc, Paganel, dit Mac Nabbs, vous nous mettez l’eau à la bouche.

— Eh bien, il est admis que toute terre du centre d’exploitation à laquelle on n’a pas travaillé pendant vingt-quatre heures, les grandes fêtes exceptées, tombe dans le domaine public. Quiconque s’en empare peut la creuser et s’enrichir, si le ciel lui vient en aide. Ainsi, Robert, mon garçon, tâche de découvrir un de ces trous délaissés, et il est à toi !