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le pays des fourrures.

vaient s’entendre, et, croyant à chaque instant périr, pendant une heure peut-être, ils restèrent ainsi, se recommandant à la Providence, qui seule les pouvait sauver.

Combien de temps encore errèrent-ils ainsi, ballottés sur ces eaux furieuses ? Ni le lieutenant Hobson ni Mrs. Paulina Barnett n’auraient pu le dire, quand un choc violent se produisit.

Le canot venait de heurter un énorme iceberg, — bloc flottant, aux pentes roides et glissantes, sur lesquelles la main n’eût pas trouvé prise. À ce heurt subit, qui n’avait pu être paré, l’avant de l’embarcation s’entrouvrit, et l’eau y pénétra à torrents.

« Nous coulons ! nous coulons ! » s’écria Jasper Hobson.

En effet, le canot s’enfonçait, et l’eau avait déjà atteint à la hauteur des bancs.

« Madame ! madame ! s’écria le lieutenant. Je suis là… Je resterai… près de vous !

— Non, monsieur Jasper ! répondit Mrs. Paulina. Seul, vous pouvez vous sauver… À deux nous péririons ! Laissez-moi ! laissez-moi !

— Jamais ! » s’écria le lieutenant Hobson.

Mais il avait à peine prononcé ce mot, que l’embarcation, frappée d’un nouveau coup de mer, coulait à pic.

Tous deux disparurent dans le remous causé par l’engouffrement subit du bateau. Puis, après quelques instants, ils revinrent à la surface. Jasper Hobson nageait vigoureusement d’un bras et soutenait sa compagne de l’autre. Mais il était évident que sa lutte contre ces lames furibondes ne pourrait être de longue durée, et qu’il périrait lui-même avec celle qu’il voulait sauver.

En ce moment, des sons étranges attirèrent son attention. Ce n’étaient point des cris d’oiseaux effarés, mais bien un appel proféré par une voix humaine. Jasper Hobson, par un suprême effort, s’élevant au-dessus des flots, lança un regard rapide autour de lui.

Mais il ne vit rien au milieu de cet épais brouillard. Et cependant, il entendait encore ces cris, qui se rapprochaient. Quels audacieux osaient venir ainsi à son secours ? Mais, quoi qu’ils fissent, ils arriveraient trop tard. Embarrassé de ses vêtements, le lieutenant se sentait entraîné avec l’infortunée, dont il ne pouvait déjà plus maintenir la tête au-dessus de l’eau.

Alors, par un dernier instinct, Jasper Hobson poussa un cri déchirant, puis il disparut sous une énorme lame.

Mais Jasper Hobson ne s’était pas trompé. Trois hommes, errant sur le lac, ayant aperçu le canot en détresse, s’étaient lancés à son secours. Ces hommes — les seuls qui pussent affronter avec quelque chance de succès