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le lac du grand-ours.

accompagnait pas, mais il ne pouvait quitter la factorerie en l’absence de son capitaine. L’amarre de l’embarcation fut larguée, et le canot, tribord amure, ayant quitté le petit port, fila rapidement sur les fraîches eaux du lac.

Ce voyage n’était véritablement qu’une promenade, et une promenade charmante. Le vieux matelot, assez taciturne de sa nature, la barre engagée sous le bras, se tenait silencieux à l’arrière de l’embarcation. Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson, assis sur les bancs latéraux, examinaient le paysage qui se déployait devant leurs yeux. Le canot prolongeait la côte septentrionale du Grand-Ours à une distance de trois milles environ, de manière à suivre une direction rectiligne. On pouvait donc observer facilement les grandes masses des coteaux boisés, qui s’abaissaient peu à peu vers l’ouest. De ce côté, la région formant la partie nord du lac semblait être entièrement plane, et la ligne de l’horizon s’y reculait à une distance considérable. Toute cette rive contrastait avec celle qui dessinait l’angle aigu au fond duquel s’élevait le fort Confidence, encadré dans sa bordure de sapins verts. On voyait encore le pavillon de la Compagnie, qui se déroulait au sommet du donjon. Vers le sud et l’ouest, les eaux du lac, obliquement frappées par les rayons solaires, resplendissaient par places ; mais ce qui éblouissait le regard, c’étaient ces icebergs mobiles, semblables à des blocs d’argent en fusion, dont l’œil ne pouvait soutenir la réverbération. Des glaçons soudés par l’hiver, il ne restait plus aucune trace. Seules, ces montagnes flottantes, que l’astre radieux pouvait à peine dissoudre, semblaient protester contre ce soleil polaire, qui décrivait un arc diurne très allongé, et auquel la chaleur manquait encore, sinon l’éclat.

Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson causaient de ces choses, échangeant, comme toujours, les pensées que cette étrange nature provoquait en eux. Ils enrichissaient leur esprit de souvenirs, tandis que l’embarcation, ondulant à peine sur ces eaux paisibles, marchait rapidement.

En effet, le canot était parti à six heures du matin, et à neuf heures, il se rapprochait sensiblement déjà de la rive septentrionale du lac qu’il devait atteindre. Le campement des Indiens se trouvait établi à l’angle nord-ouest du Grand-Ours. Avant dix heures, le vieux Norman avait rallié cet endroit, et il venait atterrir près d’une berge très accore, au pied d’une falaise de médiocre hauteur.

Le lieutenant et Mrs. Paulina prirent terre aussitôt. Deux ou trois Indiens accoururent au-devant d’eux, — entre autres leur chef, personnage assez emplumé, qui leur adressa la parole en un anglais suffisamment intelligible.